Les sables de Mille-Vaches, « pièges à bateaux » depuis toujours
Les expertises permettront de déterminer, avec les plans de la Royal navy, si l’épave découverte est bel et bien celle du Banterer.
Portneuf-sur-Mer – Une épave, des indices, une conclusion… hypothétique? Il y a fort à parier que le fleuve a restitué le Banterer, un navire de sa majesté le roi Georges III, ayant fait naufrage dans notre secteur à l’automne 1808. Peut-on le certifier hors de tout doute? Non. Les bancs de sable de Mille-Vaches, pièges à bateaux, autant hier qu’aujourd’hui, ont vu bien des navires s’enliser.
Mgr René Bélanger nous relatait le naufrage de l’Association en 1806 (aucune mention retrouvée aux archives), L’arpenteur Duberger trouve, au poste de traite de Portneuf, à l’automne 1844, « de nombreux naufragés dont le capitaine Baird et son équipage rescapé du navire Catherine, coulé dans la nuit du 15 octobre, lors de son départ vers l’Angleterre. »
Des dizaines de vaisseaux peuvent être facilement énumérés dans cette liste de naufragés, dont le Banterer. Les supplices et privations supportées par l’équipage du Banterer ont été décrits par le Capitaine Shippard dans un livre publié en 1864. Son récit, accolé à quelques faits incontestables, nous donne un juste portrait des difficultés rencontrées par ces vaillants marins d’une autre époque.
Automne 1808, la Haute-Côte-Nord n’abrite que des autochtones et quelques employés des postes de traite. Le décès de deux des propriétaires de la Seigneurie de Mille-Vaches a changé l’ambiance à Portneuf. Le poste ne connaît plus la prospérité de jadis. Il semble même délaissé en hiver, contrairement à une dizaine d’années plus tôt. Quant à l’autre secteur, celui de St-Paul, aussi inclus dans la Seigneurie, il n’y a pas âme qui vive, comme partout ailleurs dans notre région fermée à la colonisation et sous l’emprise du roi.
En Europe, ce même roi guerroie contre Napoléon. Bonaparte a étendu son pouvoir et contrairement à l’Angleterre, sa marine est défaillante. C’est donc au niveau financier et commercial qu’il fera la guerre. Dès 1806, le blocus continental ferme les ports côtiers aux marchandises britanniques, ce qui n’empêche pas qu’en Amérique, on redoute de voir une flotte napoléonienne arriver devant Québec. Est-ce la raison pour laquelle on ordonne au capitaine du Banterer, Alexandre Shippard, de se rendre à Québec à l’automne 1808, afin de « prendre un convoi pour l’Angleterre »? Peut-être car selon les journaux d’époque des convois partent régulièrement.
Comme aujourd’hui, tous les vaisseaux doivent avoir un pilote certifié afin de naviguer sur le fleuve. C’est le 28 octobre, à 20 heures, qu’un pilote embarque au Bic, ce qui soulage le capitaine Shippard qui n’a pas de carte bien détaillée pour affronter ce cours d’eau. Aussitôt à bord, le pilote décide de se diriger vers le nord afin d’utiliser les vents et les courants dominants une fois le jour revenu, c’était sans compter sur une fameuse tempête d’automne qui se lèvera bientôt. Pendant trois jours, le capitaine et son équipage se battront contre les éléments en furie. D’abord, le navire « fait côte », c’est sur le banc de sable de Portneuf qu’il se délestera de son chargement afin de parvenir à reprendre la mer. Pendant une accalmie, le capitaine évacue des malades, quelques marins et des vivres. Le navire ne sera libéré que peu de temps, il s’enlisera irrémédiablement, un peu plus à l’Ouest, dans le secteur de la Pointe-à-Boisvert. Le capitaine quittera définitivement le navire à deux heures du matin, le 1er novembre.
Shippard raconte que son équipage trouve refuge « dans des maisons vides découvertes à environ six milles à l’est de l’endroit où nous débarquâmes », ce qui ne peut être que le poste de traite de Portneuf, déserté en période hivernale. Les marins sont certes à l’abri du froid mais condamnés à mourir de faim à brève échéance. Dans cette région désertique, sans moyen de communication, leur seul salut viendra du fleuve qu’ils devront affronter à nouveau dans un canot de sauvetage. Le 3 novembre, le « purser » (genre de commissaire de bord), s’engage sur le fleuve en direction de Trois-Pistoles avec l’espoir de se rendre à Québec afin d’avoir du secours. Pendant que l’équipage retournera, à multiples reprises, sur l’épave couverte de glace, pour y dénicher des provisions : « Nous étions généralement partis pendant dix ou douze heure, exposés au froid et à l’humidité, sans nourriture. La maladie s’installait et plusieurs d’entre nous souffraient de sévères engelures. Les efforts des officiers et de l’équipage portèrent fruit car nous sauvâmes des provisions et plusieurs câbles. » Si jamais le « purser » ne se rendait pas à Québec, ces vivres ne suffiraient pas.
Le 7 novembre, Shippard doit envoyer le second lieutenant à Trois-Pistoles, afin de ramener de la nourriture. Une tempête de neige retient les hommes sur la rive-sud, ils sont de retour cinq jours plus tard avec seulement « trois cents livres de farine, quelques pommes de terre et quelques morceaux de bœufs »… et deux hommes ont profité de l’occasion pour fuir. La faim, la peur et le désespoir pousseront d’autres hommes à la désertion, ce qui aura de graves conséquences, ils reviendront les extrémités en gangrène, délirant et affamés.
Enfin, le 20 novembre une goélette arrive, apportant des provisions et une bonne nouvelle : Aussitôt que la température le permettra, un navire, affrété par le gouvernement, viendra à leur secours. Ce n’est finalement que cinq jours plus tard, après vingt-sept jours de souffrance que l’équipage pourra s’embarquer pour Québec.
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