Alerte au trou noir – « On use notre santé à essayer de passer au travers et survivre » – Marlène Thiffault, chômeuse

Par Shirley Kennedy 23 novembre 2017
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Devant sa résidence de la rue Verreault à Forestville, Marlène Thiffault pose avec la fameuse pancarte symbolisant le trou noir. Photo Journal Haute-Côte-Nord

Devant sa résidence de la rue Verreault à Forestville, Marlène Thiffault pose avec la fameuse pancarte symbolisant le trou noir. Photo Journal Haute-Côte-Nord

Forestville – Marlène Thiffault de Forestville, occupe un emploi saisonnier depuis 1989. À part un bref intermède au cours duquel elle a réussi à décrocher un emploi permanent, il y a environ 5 ans, elle a toujours vécu dans la hantise « de ne pas faire assez d’heures pour se qualifier ». La période sans revenus qu’elle anticipe à la fin de l’hiver prochain et que l’on appelle désormais le trou noir, elle l’a vécue une fois en près de 30 ans de travail saisonnier.

En 2017, Marlène Thiffault a travaillé 24 semaines à titre de chef d’équipe au Centre sylvicole de Forestville et elle aura droit à 21 semaines de prestations d’assurance-emploi. Ce n’est pas suffisant « pour faire le tour » comme on dit ici en Haute- Côte-Nord.

« Habituellement, on travaille entre 24 et 26 semaines et lorsque le taux de chômage est normal, c’est-à-dire à 8-9 %, on est juste mais on fait le tour », dit-elle.

Ce que madame Thiffault appréhende le plus, à l’instar des chômeurs et chômeuses de la région, le fameux trou noir sera malheureusement au rendez-vous en 2018. « Au début avril, je n’aurai plus de revenus. Donc si on compte le mois que ça prend pour avoir le premier paiement d’assurance-emploi et le mois après mon dernier versement, ça me fait deux mois sans rentrée d’argent ».

Une roue qui tourne

Et c’est là que la misère s’installe. Le stress de voir les paiements arriver sans avoir les moyens. La maison, la voiture et l’épicerie à payer deviennent un fardeau monétaire important. « Il faut étirer nos termes, retarder les paiements. Même sans le trou noir c’est ça le travail saisonnier. L’hiver tu t’endettes et quand tu rentres, tu paies tes dettes. C’est une roue qui tourne ».

Pour madame Thiffault, impossible de recourir au programme de solidarité sociale du gouvernement puisqu’elle est propriétaire d’une maison et d’une voiture. « Moi je réussis quand même à m’arranger avec mon conjoint, et nous n’avons plus d’enfants à charge. Mais les femmes qui ont des enfants et qui sont à loyer, elles n’ont pas le choix. Et surtout, nous n’avons pas le luxe d’être malades. On use notre santé à ramasser toutes les heures possibles pour pas être pénalisés. On cancelle nos rendez-vous pendant la haute saison. On attend à l’hiver pour se faire soigner ».

Au Centre sylvicole comme dans presque toutes les entreprises saisonnières, les emplois sont majoritairement occupés par des femmes. Selon madame Thiffault, elles sont environ 25 femmes pour 15 hommes. « On se donne, on se bat pour garder nos heures et on force autant que les gars. On a le corps magané. J’ai 53 ans et je me sens comme une femme de 70 ans ».

Outre l’inquiétude, les calculs à faire, les nombreuses privations, il n’en demeure pas moins que les travailleurs et travailleuses qui ont des emplois saisonniers poursuivent le combat afin que le gouvernement fédéral cesse le jumelage de la région et reconnaisse le travail saisonnier. Même si des avancées ont été constatées, ajoute madame Thiffault, notamment au niveau des semaines d’attentes, tout n’est pas réglé. Alors que la grande région de Montréal présente un taux de chômage de 7 %, la Côte-Nord affiche un taux irréaliste de 6,9 %.

Puisque la hantise du trou noir est plus que jamais d’actualité, Action-Chômage Côte-Nord est en croisade depuis plus d’une semaine afin de mobiliser employeurs et travailleurs. Des rencontres ont eu lieu à Tadoussac, Forestville, Chûte-aux-Outardes, Baie-Comeau et Baie-Trinité.

« On discute de la situation. On demande aux employeurs et travailleurs qu’est-ce qu’ils veulent faire pour faire bouger le gouvernement. On le fait pour nous tous mais aussi pour les générations futures », conclut madame Thiffault, militante de première heure au sein du comité Action-Chômage Côte-Nord.

 

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