Chronique d’une exilée

Par Erika Soucy 29 janvier 2019
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Il est arrivé plus vite que je le croyais, le moment où j’allais devoir écrire cette chronique. Je le redoutais, espérais pouvoir le repousser jusqu’à ce qu’on oublie l’éléphant dans la pièce… Mais les chiffres sont sortis, suivis des articles sur la question. Alors on ne va pas faire comme si de rien n’était et je ne vais pas vous bullshiter.

J’ai quitté la Haute-Côte-Nord pour la région de Québec à l’âge de 11 ans, avec ma mère. Cette dernière est partie pour des raisons qui lui appartiennent, que je n’énumèrerai pas ici. J’ai fait mes études en arts à Trois-Rivières, puis à Québec, et j’élève désormais mes enfants à L’Ange-Gardien, sur la Côte-de-Beaupré. Je gagne ma vie comme auteure et quand on me demande si je songe à retourner vivre dans ma région natale un jour, ma réponse est non, malheureusement. (J’ai dit que je ne vous bullshiterais pas.)

Pourtant, je l’aime notre région. Je la trouve unique, elle m’a marquée, m’a définie. J’aurai beau habiter n’importe où dans le monde, je répondrai toujours que je viens de la Haute-Côte-Nord. Si je pouvais y vivre et gagner ma vie de la même manière, j’y retournerais. Mais personne n’est dupe : vivre de son art en région, c’est un sacré tour de force!

À l’argument : « Tu es capable d’écrire n’importe où », je réponds que c’est faux, que le milieu littéraire et les donneurs d’emplois dans mon domaine sont à Québec et Montréal et que je dois demeurer proche pour rester dans la game. Ça me brise le cœur de le dire, mais mes enfants ont aussi un bel avenir en ville et je vois mal ce qu’ils gagneraient, actuellement, à déménager en région. C’est fâchant à lire, hein? Je vous comprends…

Je ne peux pas écrire sur la dévitalisation sans être transparente avec vous. Même si je cri haut et fort que je viens de Portneuf-sur-Mer, que j’estime mieux promouvoir ma région en demeurant près des grands médias, que ma démarche de création traite principalement du territoire de mon enfance, je ne peux pas nier que je fais aussi partie du problème. J’ai beau être fière d’être Nord-Côtière, c’est pas ça qui fait rouler l’économie locale.

Mais tout le monde n’est pas comme moi. Plusieurs, il n’y a pas si longtemps, pratiquaient un métier qui leur convenait dans un village qu’ils appelaient chez eux. On dit qu’ils sont partis quand même à cause de la job… Dans le fond, on part toujours à cause de la job.

Mais c’est tu vraiment la job, le problème? Parce qu’elle, en soit, elle ne change pas. Quelqu’un qui aimait son travail il y a quinze ans devrait l’aimer encore aujourd’hui. Et les idées de développement qui étaient bonnes jadis, elles le sont encore, non? C’est comme si on disait que notre région est désuète dans ce qu’elle a à offrir.

Je crois pertinemment que c’est faux. Je crois que le problème nait de la perception méprisante des institutions envers notre économie; elle est saisonnière et bien basse dans l’échelle des préoccupations capitalistes.

Et si on acceptait, au gouvernement, que certains coins de notre pays nécessitent un programme d’assurance emploi adapté à la réalité du terrain? Les richesses de chez nous viennent de la forêt, du fleuve, de la beauté des paysages… Trois industries plus difficilement exploitables en hiver. Donner un niveau de vie adéquat aux travailleurs qui s’y dédient est-il si dangereux pour l’économie canadienne? On jase là…

Pensons à long terme; parce que si notre région se vide rapidement, ça risque d’être long avant que sa population augmente considérablement.

Imaginons qu’on enraye définitivement le trou noir de l’assurance emploi. Imaginons qu’on offre à plusieurs familles de chez nous la possibilité d’être libérées du poids de plusieurs semaines sans salaire. Imaginons qu’on leur dit : « Vous aurez du chômage tout l’hiver, vous allez pouvoir souffler. Vous aurez un niveau de vie décent et votre tête va pouvoir servir à autre chose qu’à stresser sur votre compte en banque. » Qui sait les idées qui pourraient sortir de cela? Qui sait ce qu’on peut avoir la force de faire quand on est libre du stress financier et qu’on a tout l’hiver pour penser, créer, s’impliquer dans notre communauté? Qui sait quelles entreprises pourraient naître d’un climat de vie sait?

Qui sait le nombre de personnes qui souhaiteraient vivre par chez nous si Monsieur Trudeau leur présentait notre région comme ce qu’elle est réellement : une terre où tout est encore possible? Même vivre de son art… Qui sait?

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