Accoucher en temps de pandémie: le miracle de la naissance, avec des bémols

Par Emelie Bernier 7:00 AM - 22 avril 2020
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Kristine Levasseur-Blanchette avec Philippe (4 ans et 11 mois), Marianne (3 ans et 8 mois) et Étienne (1 semaine).

Accoucher en temps de pandémie apporte déjà son lot de stress, mais quand la Société des Traversiers du Québec a annoncé qu’elle cesserait les traversées nocturnes entre Tadoussac et Baie-Sainte-Catherine, le cœur de ces mamans et futures mamans n’a fait qu’un tour.

NDLR: Ce texte a été rédigé avant l’annonce du rétablissement sur le service 24h faite le mardi 21 avril par la Société des Traversiers du Québec .

Aurore Perrinel, Kristine Levasseur-Blanchette et Démie Provencher ont choisi d’accoucher à l’Hôpital de La Malbaie. De jour, de nuit? Tout le monde sait que l’arrivée des bébés est pour le moins imprévisible!

Aurore Perrinel avoue que sa fin de grossesse n’a pas été idyllique. « J’anticipais que le traversier ferme. Ça me tracassait depuis un moment, mais des amis qui y travaillent me disaient que c’était impossible, que c’était un service essentiel. C’était resté comme ça jusqu’à ce que je lise l’annonce de notre député…Ça été le choc, je me suis mise à paniquer complètement. »

Enceinte de son premier bébé, loin des siens (Mme Perrinel et son conjoint son originaires de France), la jeune maman a craqué. « Déjà que c’est stressant, un premier accouchement, en plus dans un contexte de pandémie, et on rajoute un problème de transport? Ça faisait beaucoup », résume celle qui admet avoir pleuré toutes les larmes de son corps avant de passer en mode solution.

« Tout le monde voulait m’aider. On a fait la chaîne pour trouver un endroit pour nous loger mon conjoint et moi à La Malbaie. Il y a eu une solidarité incroyable! », dit celle qui n’a finalement pas eu besoin de l’élan de générosité.

Aurore Perrinel, Florent Garcia et leur petit Nolan.

« J’avais un rendez-vous avec mon médecin le lendemain de l’annonce. On m’a diagnostiquée une prééclampsie et j’ai été déclenchée », résume Mme Perrinel. Son petit Nolan n’était visiblement pas prêt à voir la lumière du jour. « Après 4 jours, on m’a fait une césarienne. J’étais au bout de mes forces… Ce n’est pas l’idéal, mais nous sommes en bonne santé et le service a été extraordinaire. Je suis contente d’avoir pu accoucher là-bas », dit-elle. Le couple aura passé près d’une semaine à l’hôpital avant de reprendre le chemin de la maison où le trio s’apprivoise doucement. « Je me console en me disant que si j’avais été en France, mon conjoint n’aurait même pas pu être avec moi en salle d’accouchement… »

La jeune Française n’était pas la seule Nord-Côtière à la maternité de La Malbaie quand Nolan est venu au monde. « C’était la cohue à l’hôpital ! Les 4 prochaines mamans qui accouchaient étaient toutes des filles de la Haute Côte-Nord, on sentait quand même un peu la panique… », se rappelle Aurore Perrinel.

Parmi elles, Kristine Levasseur-Blanchette, enceinte de son troisième enfant. Lorsque la nouvelle de la STQ est tombée, la femme, originaire de Bergeronnes, avait dépassé sa date prévue d’accouchement. « J’accouche très rapidement alors disons que ça été une source de stress intense. Je n’ai pas dormi pendant deux nuits. Chicoutimi, ça ne me tentait pas! On parle d’une heure et demie de transport alors que Malbaie, avec le bateau, c’est 50 minutes… Et quand on voit les cas de COVID là-bas… », indique Mme Levasseur Blanchette à qui on a aussi évoqué la possibilité d’accoucher à Baie-Comeau, à plus de 2h30 de chez elle. Sa médecin a plutôt fait le choix de la faire venir à La Malbaie et de déclencher l’accouchement, puisqu’elle avait dépassé son terme. Tout s’est bien passé et elle est de retour aux Bergeronnes avec son petit Étienne.

Mme Levasseur-Blanchette souhaite tout de même passer un message à la STQ. « Oui, je peux comprendre que ça coûte cher, maintenir un traversier de nuit, qu’il manque de monde, mais un service pour les urgences médicales, les transferts à Québec, ce serait rassurant pour le monde de la Côte Nord. On est déjà enclavé avec ce bateau-là, si en plus, vous coupez le service… C’est notre route, la seule route qu’on a », lance-t-elle.

Son avis est partagé par Démie Provencher qui attend son premier enfant, une petite fille, pour juin. Quand on lui dit qu’elle pourra aller à l’hôpital de Chicoutimi si le travail débute hors des heures de service du traversier, la jeune femme tique. «J’ai choisi La Malbaie. J’ai construit une relation de confiance avec mon médecin, avec l’équipe. Il y a des cas à Chicoutimi, dans le département d’obstétrique, en plus! », dit la jeune femme.
Ses rendez-vous de suivi ont été espacés et son conjoint ne peut y assister. « Mon chum n’a pas le droit de venir dans l’hôpital avec moi. J’ai une échographie bientôt, il ne pourra pas être là. On comprend, mais c’est plate… », conclut la jeune femme qui croise les doigts pour que le service soit rétabli d’ici son accouchement.

La STQ n’a «pas eu le choix»

NDLR: Ce texte a été rédigé avant l’annonce du rétablissement sur le service 24h faite le mardi 21 avril par la Société des Traversiers du Québec .

La Société des Traversiers du Québec n’est pas insensible à la situation des femmes de la Haute-Côte-Nord qui ont fait le choix de La Malbaie pour leur suivi de grossesse et leur accouchement, mais le porte- parole Alexandre Lavoie clame que l’interruption de service nocturne était la seule avenue possible. « On était déjà en pénurie de personnel avant la pandémie. On n’a pas suffisamment de personnel naviguant disponible pour assurer le service 24h dans la durée », dit M. Lavoie. 30% du personnel est présentement en arrêt de travail pour des raisons en lien avec la COVID-19.

La STQ s’appuie sur un plan de contingence avant de prendre de telles décisions, soutient M. Lavoie. « De l’autre côté du Saguenay, les gens ont accès à un hôpital. On sait que ce n’est pas idéal, mais chacun a à faire des sacrifices, partout au Québec. On doit optimiser l’utilisation de nos ressources », dit-il. À sa connaissance, une coupure de service d’une telle envergure est une première.

La reprise du service dépendra des recommandations de la Santé publique. « On ne peut pas donner de date, mais le jour où les activités économiques vont reprendre, on imagine qu’on devra reprendre aussi. La disponibilité du personnel va certainement demeurer un enjeu pour les prochaines semaines.

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