Ode à la normalité

Par Shirley Kennedy 3:00 PM - 7 juillet 2020
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Jérémie Laberge Pilote et Dominick Trembay, un couple comme les autres. Courtoisie

Souligné par nos médias nationaux, le 28 juin 2020 marquait le 15e anniversaire de la reconnaissance du gouvernement canadien au mariage entre personnes de même sexe.

À l’annonce de cette commémoration, m’est revenue en mémoire la première union civile homosexuelle célébrée au palais de justice de Montréal le 18 juillet 2002.

Le couple formé de Theo Wouters et Roger Thibault, avait marqué l’histoire. C’était une première non seulement au Québec, mais aussi au Canada et en Amérique du Nord.

Par un pur hasard, je me trouvais dans l’établissement du village gai où la grande fête qui a suivi battait son plein.

Je savais pertinemment que j’assistais, en spectatrice impromptue, à un événement marquant dans l’avancée des droits de la communauté lesbienne-gaie-bisexuelle-transgenre (LGBT), bien qu’encore aujourd’hui, la bataille est loin d’être gagnée.

L’histoire de Dominick

Et puis j’ai pensé à Dominick. Un jeune homme originaire de Longue-Rive, que je croise de temps à autre et dont mon conjoint et moi connaissons la famille.

Son père, ses oncles et cousins ont travaillé pour l’entreprise familiale sise à la Pointe-à-Boisvert pendant de nombreuses années.

J’aime Dominick. Je suis comme ça. Avec moi, ça fait ou ça fait pas. Je l’apprécie premièrement parce qu’il est d’une gentillesse inouïe, et aussi parce qu’il est dans la même tranche d’âge que mes filles.

Mais surtout parce que son parcours me fait penser à celui de mon petit frère et tout ce que ça implique comme souvenirs. Donc, avec Dominick, je suis totalement à découvert.

En 2002, il avait 11 ans lorsque le Canada est devenu le troisième pays à reconnaître le mariage entre personnes de même sexe.

Il était loin de se douter que presque 15 ans plus tard, il ferait le grand pas à son tour avec l’homme de sa vie, Jérémie Laberge Pilote.

En fait, il était à l’aube de sa propre remise en question, du commencement de son chemin de croix qu’on appelle le passage au secondaire.
Ce calvaire qu’ont vécu et que subissent encore, les jeunes « qui ne sont pas normaux, qui sont différents, pas comme les autres. »

L’échappatoire

« Je ne savais pas qui j’étais et je vivais de l’intimidation à la polyvalente. Je suis allé passer un été chez ma tante Jessyca à La Malbaie. Je n’étais pas avoué encore. C’était ma porte de sortie, pour me libérer de cet enfer-là. »

Constatant que son neveu semble avoir la vie plus paisible dans Charlevoix, sa tante lui offre de rester afin de poursuivre ses études de troisième secondaire.

Enfin, Dominick respire l’air charlevoisien à pleins poumons, sans avoir le cœur serré.

« Ça été mon coup d’envoi cet endroit-là. Mes notes étaient meilleures, ma tante avait eu un bébé et je l’aidais, j’avais de nouveaux amis. »
Au deuxième trimestre de ses études de quatrième secondaire, Dominick rencontre quelqu’un de sa région natale.

Ce qui l’incitera à revenir au bercail pour entamer sa dernière année à la polyvalente des Rivières de Forestville.

Coming out

« Je me suis dit : va donc finir ton secondaire chez vous, et va donc dire qui tu es. » Et c’est à ce moment que son orientation sexuelle a été dévoilée au grand jour. Dominick confirme à sa mère ce qu’elle sait probablement déjà.

La réaction qu’il redoute, est celle de son père, sa figure d’autorité.

« Je ne m’attendais à rien en fait. Je ne savais pas quelle serait sa réaction. J’avais tellement entendu toutes sortes d’histoires d’horreur. Mais cela a été un grand soulagement lorsqu’informé par ma mère, il a dit : Dominick va toujours rester Dominick, le reste ne me regarde pas. »

Alors que les liens avec ses parents sont plus soudés que jamais, que sa famille élargie accueille ses choix sans jugement, sa relation avec son frère est plus difficile.

« C’est la seule personne avec qui ça accroché. Je crois qu’il avait peur pour moi. Et encore aujourd’hui c’est ce que je crois. Nous sommes proches comme nous ne l’avons jamais été maintenant. Ça ne fait pas des années, mais c’est réglé. »

Se choisir

Vivre son homosexualité en région s’avère parfois très difficile. Déménagé au Saguenay pour y poursuivre ses études, Dominick est en relation depuis quelques temps mais son couple bat de l’aile. Rien ne va plus.

Il s’évade dans Charlevoix à nouveau, son havre paix. «Puis, j’ai eu un déclic. Il s’est passé quelque chose dans la famille, et j’ai quitté. J’ai dit à ma mère : je recommence mes études et on verra. »

Il se lance dans deux sessions intensives en Sciences humaines au Cégep de Forestville et en parallèle, il rencontre un homme qu’il croit la personne idéale.

Au contraire, il s’enfonce dans une relation toxique où il connaîtra la violence psychologique liée à la consommation de son conjoint.

Bien que son parcours académique lui apporte énormément de satisfaction et de confiance, sa relation se détériore au point de nuire à ses études et à sa vie personnelle.

Sa vie part en vrille dans la spirale typique : tension, explosion de la violence, justification et lune de miel.

« J’ai rencontré une travailleuse sociale pour me donner un coup de pouce. Elle m’a dit : tout ce que je viens de te dire, ça va rentrer dans une oreille et ça va sortir par l’autre. Habituellement les gens qui vivent ça, il leur faut 2 ans, 5 ans, 10 ans avant qu’ils réussissent à s’en sortir. J’ai répondu : Sarah, je vais changer ta moyenne aujourd’hui. »

Le jeune Longue-Rivois tient parole et quitte le domicile conjugal la semaine suivante. Mais le cauchemar n’est pas terminé pour autant.

« C’est à ce moment que j’ai vu c’est quoi le harcèlement. »

Menaces et manipulation se succèdent, mais Dominick tient bon.

Le match parfait

En mai 2017, il est présenté à Jérémie. Dominick se dit que ça ne pourra pas fonctionner, Jérémie étant militaire au sein des Forces Armées Canadiennes et appelé à se déplacer selon les missions et déploiements.

Via les réseaux sociaux, les deux tourtereaux gardent le contact au gré des assignations de Jérémie.

Malgré les hauts et les bas de la vie comme tous les couples, Dominick et Jérémie se complètent, et enfin, Dominick se sent aimé et apprécié.

L’automne dernier, Jérémie est informé qu’il pourrait être posté pour quelques temps à Oklahoma City aux États-Unis.

Les conjoints de faits n’y étant pas reconnus, ils devront se marier s’ils veulent vivre au pays de l’oncle Sam.

« J’ai toujours voulu me marier. Pour la signification. Mes grands-parents paternels, Louisiana et Gabriel ont été mariés pendant 71 ans. C’est la mort qui les a séparés. C’est ça mon idéal, le but d’une vie. »

Le 7 décembre 2019, devant famille et amis proches, Dominick et Jérémie se disent oui pour la vie.

Le poste aux États-Unis a été reporté et Dominick a pris la décision de poursuivre à la Caisse du Centre de La Haute-Côte-Nord où il vient tout juste de décrocher un poste de conseiller en finances personnelles. Il se sent comme un poisson dans l’eau.

À la suggestion de sa collègue et amie Marilyn, il a pour projet de monter une conférence en duo pour parler aux jeunes de l’homosexualité et des tabous qui existent encore.

« Je suis allé parler aux jeunes de la Maison des jeunes l’Entretemps l’automne dernier et j’ai adoré l’expérience. J’en ai tellement bavé, ça me fait plaisir d’en parler. »

Les choses ont évolué, concède Dominick, mais il y a encore beaucoup de préjugés à déboulonner. Le temps de la « normalité » est révolu.

« C’est quoi la normalité? C’est quoi pour toi être normal? », interroge-t-il lorsqu’il entend des commentaires nés d’un dialecte d’homme des cavernes.

« Je ne souhaite à personne de vivre ce qu’on peut vivre. Il faut se construire une carapace. Aujourd’hui je sais qui je suis, je sais ce que je vaux et je garde la tête haute. »

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