Hydro-Québec veut le maximum d’eau permis dans le réservoir Manicouagan : 15 villégiateurs expropriés

Par Steeve Paradis 3:03 PM - 15 juillet 2021
Temps de lecture :

« C’était notre place de rêve pour la retraite », a lancé Christian Munger à propos du camp qu’il possède avec son frère sur le réservoir Manicouagan et qui sera en partie englouti par la hausse du niveau d’eau du réservoir. Photo Christian Munger

Sans tambour ni trompette, Hydro-Québec compte faire passer dès que possible le niveau d’eau du réservoir Manicouagan à 355,95 mètres, le maximum que lui permet actuellement les autorités. La société d’État désire même se rendre encore plus haut, mais devra décrocher des autorisations pour ce faire. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, 15 villégiateurs doivent être expropriés.

« En ce moment, le niveau est à 352 mètres, on va essayer de le porter à 355,95 mètres d’ici la fin de l’année », a confirmé le porte-parole d’Hydro-Québec au dossier, Francis Labbé. « Mais on est tributaires des précipitations d’ici là », a-t-il ajouté, précisant que de nombreux mois peuvent être nécessaires pour ce faire.

Il faut comprendre que 355,95 mètres, c’est déjà beaucoup plus que la norme des dernières années. En effet, le niveau du réservoir n’a jamais atteint les 354 mètres depuis 1985.

Curieusement, puisqu’il doit y avoir des expropriations, ces chalets ont donc été construits après 1985 et surtout autorisés par le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) même si les baux se trouvaient localisés sous la cote possible d’exploitation de 355,95 mètres. Neuf de ces baux sont dans la MRC de Manicouagan et les six autres dans celle de Caniapiscau.

Dans un courriel, le MERN a soutenu qu’il a délivré ces baux de villégiature « avec les données cartographiques dont il disposait à l’époque. Ce n’est que les données plus exhaustives et précises issues d’une récente étude qui nous a permis de constater que certains bâtiments sont érigés sous la cote maximale d’exploitation », indique le service des relations de presse du ministère.

« Il y a également des cas où l’on peut observer une disparité entre l’emplacement prévu aux baux et la localisation sur le terrain », ajoute-t-on.

Pour l’indemnisation, trois options sont offertes aux expropriés. Les indemnités varient de 75 % à 120 % de la valeur à neuf du bâtiment, selon l’option.

Surprise totale

Christian Munger, l’un de ceux qui a vu son bail révoqué, est carrément tombé des nues lorsqu’il a appris la nouvelle par téléphone, en juin. « En 2017, on a hésité à acquérir ce bail parce que ça (la hausse du niveau d’eau) se parlait déjà. Après, on nous a dit qu’il n’y avait pas de problème. C’est sûr que si on avait appris que le niveau d’eau pouvait monter, on n’aurait jamais acheté ici. Jamais. »

M. Munger a jusqu’à cet automne pour libérer les lieux. L’option 1 est que le locataire récupère ses biens meubles et ses effets personnels et le MERN se charge de la démolition, donne droit à une indemnité de 100 % de la valeur à neuf. Si le locataire se charge de la démolition et nettoie le site, l’option 2, il recevra 120 %

L’option 3 s’applique si le détenteur du bail en désire un autre à proximité, comme le souhaitent Christian Munger et son frère, copropriétaire du camp construit en 1991. L’indemnité est seulement de 75 % de la valeur, après démolition de l’ancien site aux frais du locataire.

« J’ai comme l’impression que le ministère veut qu’on s’en aille de là, tout simplement. Les choix qu’on nous a donné jusqu’ici pour une relocalisation ne sont pas adéquats. C’est le long de la berge du réservoir, alors qu’il faut absolument être dans les petites baies pour se protéger du vent, sans ça, nos embarcations vont se faire démolir. Et 75 % de la valeur pour se relocaliser, ce n’est pas assez. »

Le frère de M. Munger se rendra sur les lieux dans les prochains jours, « ce qui est peu recommandable », indique le villégiateur en parlant de l’immensité du réservoir Manicouagan. Il est présentement dans l’incapacité de s’y rendre lui-même, cat il vient tout juste de subir une opération à la hanche.

« Il (le frère) va prendre des relevés derrière le camp pour voir si c’est possible de trouver un autre terrain possible tout près. C’était notre place de rêve pour la retraite », lance Christian Munger, nullement résolu à faire son deuil de l’endroit. Les deux frères sont natifs de Sept-Îles. Christian vit désormais à Saguenay tandis que son frère est à Saint-Ferréol-les-Neiges.

Quatre mètres de plus

Hydro-Québec ne compte pas s’arrêter à 355,95 mètres. « Comme l’a réclamé le tribunal », n’a pas manqué de rappeler Francis Labbé, la société d’état a demandé au ministère québécois de l’Environnement et de la Lutte contre le changement climatique et le ministère fédéral des Pêches et des Océans l’autorisation de porter le niveau du réservoir Manicouagan à 359,66 mètres, soit la cote maximale d’exploitation fixée à la fin des années 60, lors de la mise en service du barrage Daniel-Johnson.

« En cas de faible hydraulicité, ça devient très important pour la sécurité énergétique du Québec », a fait valoir le porte-parole en signalant qu’Hydro n’a toujours pas eu de retour des ministères interpelés par la demande. Le réservoir Manicouagan est l’un des plus importants pour Hydro. « Ce qu’on voit venir, c’est une reprise de la demande assez forte au Québec et pour l’exportation », a ajouté M. Labbé pour donner un autre exemple de l’importance pour Hydro-Québec d’un réservoir rempli à pleine capacité afin de pouvoir turbiner au rythme nécessaire pour répondre à cette demande.

Partager cet article