DOSSIER | Immigration : les portes s’ouvrent sur la Côte-Nord

Par Charlotte Paquet 7:00 AM - 19 janvier 2022
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Le Centre alpha Lira a notamment œuvré à l’intégration des travailleurs malgaches arrivée au printemps 2021 pour travailler comme préposé à la résidence des Bâtisseurs à Sept-Îles.

Ils travaillaient auparavant presque essentiellement dans les champs de producteurs agricoles, mais aujourd’hui, les travailleurs étrangers temporaires sont devenus des maillons importants dans d’autres secteurs de l’économie. Leur embauche est cruciale pour de nombreuses entreprises mises à mal par la rareté de main-d’œuvre.

Si cruciale dans les faits que Québec vient de rehausser le seuil maximal de travailleurs étrangers temporaires pour le faire passer de 10 à 20 % du personnel, répondant ainsi à l’appel du milieu des affaires.

Les Éditions Nordiques vous présentent ici quelques histoires vécues par des employeurs de la Côte-Nord qui ont tourné leur regard au loin pour réussir à recruter de nouveaux employés.

Vingt travailleurs philippins attendus chez Fransi au printemps

Les Philippines s’imposent comme une véritable pépinière de soudeurs et de machinistes pour l’entreprise Fransi de Baie-Comeau, qui se prépare à accueillir 20 nouveaux travailleurs étrangers temporaires en provenance de ce pays au cours du printemps.
Charlotte Paquet

Déjà, depuis mai 2021, six employés spécialisés de ce pays d’Asie du Sud-est sont à l’œuvre dans l’entreprise. Leurs contrats de travail sont de deux ou trois ans. Ils seront donc rejoints par leurs compatriotes en mai ou en juin prochain. À ce moment-là, les 26 travailleurs philippins représenteront 30 % des 85 employés de l’entreprise.

« Ça fait longtemps qu’on a des problèmes de recrutement. Même avant la COVID, on avait des problèmes », souligne le président de Fransi, Richard Imbeault. Il a bien essayé de trouver de la main-d’œuvre en région et ailleurs au Québec, mais sans succès. « On dirait qu’ils (les établissements de formation) ne forment plus de soudeurs. »

Actuellement, pour contourner la rareté de main-d’œuvre, l’entreprise manufacturière n’a d’autre choix que de se tourner vers des agences privées, à l’image de ce qui se passe dans le réseau de la santé. C’est ainsi que des soudeurs et des machinistes de l’extérieur de la région s’amènent à Baie-Comeau. Mais cette façon de faire a évidemment un coût très élevé.

L’arrivée de 20 Philippins permettra à M. Imbeault de souffler un peu. Il se dit très satisfait de la façon dont ça se passe avec les six premiers travailleurs recrutés au loin. Leur intégration se passe bien. Ils commencent tranquillement à apprendre le français grâce aux cours qu’ils suivent.

Et rien ne dit que plus tard, ils ne déposeront pas une demande pour l’obtention d’un visa de travail. S’il leur est accordé, cela leur permettrait de faire venir leur famille à Baie-Comeau et transformer un emploi temporaire en un emploi permanent, ce qui sourirait à leur patron, de toute évidence.

Firme spécialisée

Dans le processus de recrutement en cours, la PME baie-comoise fait affaire avec une entreprise spécialisée dans l’embauche de main-d’œuvre étrangère.

« On n’a pas le choix », lance-t-il pour bien faire saisir l’ampleur de la tâche. Lors de l’embauche des six Philippins déjà sur place, Fransi avait dépêché l’un de ses employés aux Philippines pour conclure le tout.

Enfin, contrairement à d’autres secteurs d’emplois, aucune limite d’embauche de main-d’œuvre étrangère n’est imposée dans les domaines du soudage et de l’usinage.

Ainsi, le maximum de travailleurs étrangers temporaires par entreprise au Québec, qui vient de passer 10 à 20 % du nombre total d’employés dans chacune, ne touche pas Fransi.

Richard Imbeault, président de Fransi, et Jonathan Lévesque, directeur général, posent en compagnie des six travailleurs philippins arrivés à Baie-Comeau en mai 2021. Ils seront bientôt rejoints par 20 de leurs compatriotes.

Les Crabiers du Nord accueilleront 13 travailleurs mexicains

La limite rehaussée du nombre de travailleurs étrangers temporaires autorisés à venir prêter main-forte aux entreprises québécoises œuvrant dans certains secteurs, n’a aucun impact pour Les Crabiers du Nord. L’entreprise qui opère une usine de transformation des produits de la mer à Portneuf-sur-Mer, accueillera ses premiers travailleurs immigrants en mars 2022.
Shirley Kennedy

Bien qu’il se réjouisse de l’annonce du ministre du Travail Jean Boulet concernant l’augmentation du seuil de travailleurs étrangers autorisés pour les entreprises qui peinent à recruter des employés, Patrice Jean, contrôleur financier des Crabiers du Nord, affirme que cette nouvelle mesure n’affecte pas son entreprise puisqu’elle en est à sa première expérience en la matière.

« En 2021 on a bien manqué en faire venir mais finalement on ne l’a pas fait mais on aurait dû », concède-t-il, avouant que la pression sur le personnel en place, notamment au niveau de la production, a été exacerbée par le contexte pandémique.

Même si l’équipe en place à l’interne a toujours réussi grâce à son sentiment d’appartenance et son expertise à rencontrer les délais du carnet de commandes de l’entreprise, M. Jean estime que « ça aurait pu être moins serré dans la production ».

Qu’à cela ne tienne, Les Crabiers du Nord ne s’y feront pas prendre pour la prochaine saison, alors que treize travailleurs mexicains viendront aider principalement à la transformation et au nettoyage, des secteurs névralgiques de la chaîne de production.

Pour ce faire, c’est l’agence Dotemtex qui a été mandatée par le contrôleur financier des Crabiers du Nord afin de superviser l’opération.

« Nous en avions demandé 14, mais il y en a un qui a annulé et si on avait insisté pour en avoir 14, le processus aurait été retardé alors nous les attendons vers la fin du mois de mars », explique M. Jean, ajoutant que l’entreprise doit débourser entre 8 000 $ et 10 000 $ auprès de l’agence pour chaque travailleur.

Satisfait jusqu’à maintenant des nombreux services offerts par l’agence, le porte-parole des Crabiers du Nord révèle la complexité organisationnelle que cela implique.

« Nous devons les loger, s’assurer qu’ils soient bien installés, qu’ils bénéficient d’un espace de cuisine et de repos adéquats », énumère-t-il, ajoutant que l’entreprise a fait l’acquisition au cours de la dernière année de deux résidences à proximité de l’usine afin de loger les nouveaux arrivants.

Outre l’aspect logistique, Dotemtex voit à l’évolution des dossiers d’immigration de ces travailleurs temporaires à savoir s’ils sont adéquatement vaccinés et que le tout soit approuvé par Santé Canada.

« Et puisque les mesures changent régulièrement, on ne sait pas s’ils devront observer une quarantaine de dix ou quatorze jours lorsqu’ils vont arriver à Montréal », s’interroge Patrice Jean, qui soutient avoir reçu de très bonnes références quant à la rigueur et l’ardeur au travail de la main d’œuvre mexicaine.

Les Crabiers du Nord embauchent au total environ 85 personnes en haute saison.

Une bonne nouvelle, mais un bémol chez McDonald’s

Le rehaussement du seuil maximal de travailleurs étrangers temporaires qui peuvent être embauchés dans les entreprises du Québec est bien accueilli par le propriétaire des restaurants McDonald’s de Baie-Comeau et Forestville, qui compte 12 Philippins et Marocains à son emploi en attendant l’arrivée de quatre de plus.
Charlotte Paquet

Rappelons que le ministre du Travail, Jean Boulet a récemment annoncé l’entrée en vigueur d’une nouvelle limite de 20 %, plutôt que les 10 % d’avant, du nombre de travailleurs étrangers au sein des entreprises de certains secteurs, notamment la restauration et l’hôtellerie.

« C’est sûr que pour nous, ça va faciliter la capacité d’avoir d’autres travailleurs étrangers », se réjouit Jacques Bérubé, qui ajoute que « ça va aider tous les commerces ». Cependant, il souhaite aussi que les dédales administratifs soient raccourcis pour leur arrivée.

D’ailleurs, avant de penser à recourir à d’autres employés venus de loin, M. Bérubé est impatient de voir arriver enfin en région les quatre derniers travailleurs recrutés aux Philippines et au Maroc.

Pourtant, depuis la fin de l’été 2021, 12 des 16 travailleurs qu’il a embauchés sont installés et donnent un coup de main apprécié dans les restaurants.

L’employeur affirme ignorer quand les autres se pointeront en région. « C’est pas moi qui décide, c’est le système. Un bon matin, je reçois un téléphone et les quatre s’en viennent », explique-t-il.

L’annonce de la bonification à 20 % reste une bonne chose, mais « 20 % dans trois mois et 20 % dans deux ans », ce n’est pas la même chose, prévient Jacques Bérubé, tout en rappelant qu’il y a aussi un coût relié à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires.

Les restaurants McDonald’s de Baie-Comeau et Forestville ont toujours des postes à pourvoir. D’ailleurs, une offensive de recrutement sera menée bientôt en vue de la période des vacances d’été.

Sur cette photo prise peu de temps après l’arrivée des premiers travailleurs étrangers temporaires, Jacques Bérubé, propriétaire des restaurants McDonald’s de Baie-Comeau et de Forestville, est entouré de Lekbir Anine et de Oualid Beneshkhonne, deux Marocains. La scène a été captée dans le restaurant du boulevard La Salle à Baie-Comeau, fermé depuis quelques mois.

Quelques craintes à la Ferme Manicouagan

Même si les nouvelles dispositions sur la hausse du nombre maximal de travailleurs étrangers temporaires ne concernent pas les entreprises agricoles, par ricochet, pourraient-elles venir qu’à les affecter quand même?
Charlotte Paquet

C’est ce que se demande Julie Bérubé, copropriétaire et responsable du développement des affaires à la Ferme Manicouagan de Pointe-Lebel. Tout en soulignant qu’il fut un temps pas si lointain où la main-d’œuvre temporaire en provenance de l’étranger œuvrait uniquement en agriculture, elle dit constater qu’aujourd’hui, plusieurs secteurs d’activités se l’arrache.

Mme Bérubé se demande si le fait de rehausser le seuil de travailleurs étrangers temporaires permis n’entraînera pas un déplacement de travailleurs agricoles vers des emplois mieux rémunérés. « Est-ce que je peux m’inquiéter? Est-ce que ça pourrait nous en enlever? »

Selon elle, la Ferme Manicouagan n’a jamais eu de difficulté à recruter au Mexique de la main-d’œuvre pour travailler dans ses champs. Les Mexicains, précise la dame, sont reconnus pour leur expertise dans l’agriculture. En 2020, deux travailleurs ont été accueillis. L’année suivante, c’était trois et, pour 2022, quatre sont espérés.

Propos rassurants

Directeur général de l’organisme FERME, l’acronyme de la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère, Fernando Borja ne nie pas que de meilleures offres d’emploi avec un salaire plus alléchant pourraient drainer une partie des travailleurs agricoles vers d’autres secteurs d’activité, mais il se fait rassurant tout de même.

La main-d’œuvre que l’organisme recrute au Mexique et au Guatemala pour ses membres, dont la Ferme Manicouagan, est constituée de gens qui viennent au Québec pour travailler de 50 à 60 heures par semaine de façon à gagner le plus d’argent possible.

« Dans une usine, ils vont peut-être faire 40 heures », souligne M. Borja, en notant que la différence de taux horaire ne comblerait peut-être pas l’écart entre les heures de travail.

Chez un producteur agricole, le travailleur « va faire un peu plus d’efforts », mais il va avoir une meilleure paye, croit-il.

Copropriétaire et directrice du développement des affaires à la Ferme Manicouagan de Pointe-Lebel, Julie Bérubé dit espérer que les nouvelles règles n’entraîneront pas un glissement de travailleurs agricoles de l’étranger vers d’autres secteurs de l’économie. Photo : KB Photographie

Le défi reste l’accueil et l’intégration

Sept-Îles n’échappe pas à cette tendance de l’utilisation de travailleurs étrangers pour combler les besoins en main-d’œuvre. C’est ce que constate Elizabeth Fragoso, agente de développement en immigration et responsable des communications du Centre alpha Lira.
Vincent Berrouard

« Au début, c’étaient principalement des restaurants, notamment en restauration rapide, qui ont fait venir des travailleurs étrangers à Sept-Îles. Mais, de plus en plus d’entreprises manufacturières font appel à ce type de main-d’œuvre. On parle de mécaniciens ou de soudeurs par exemple. Il y a un grand nombre d’entreprises à Sept-Îles qui attendent des travailleurs étrangers au cours des prochains mois », indique Mme Fragoso.

« Je pense qu’avec la pénurie de main-d’œuvre et le fait que pour d’autres entreprises ça fonctionne, plusieurs compagnies se tournent vers les travailleurs étrangers », ajoute-t-elle.

Parmi les entreprises septiliennes qui ont eu recours à ce type de travailleurs dernièrement, on peut citer en exemple Équipements Nordiques, qui a fait venir une vingtaine de Philippins pour les opérations de déneigement, ou la résidence des Bâtisseurs qui a accueilli des travailleurs de l’île de Madagascar pour pourvoir des postes de préposés.

Le Centre Alpha Lira a pour mission d’accueillir et d’accompagner les personnes immigrantes dans leur démarche d’intégration. L’organisme travaille souvent avec les entreprises pour s’assurer que l’intégration de ses travailleurs sera réussie.

Lorsqu’un groupe de travailleurs se préparent à venir à Sept-Îles, l’organisme travaille en amont pour bien préparer leur arrivée sur la Côte-Nord.

« Avant le départ de leur pays, on fait une rencontre virtuelle avec les travailleurs pour leur parler de la région, de la population et des démarches administratives à faire comme pour le permis de conduire », explique Elizabeth Fragoso.

Ce type de rencontre permet d’expliquer la culture du Québec et aussi de les préparer à affronter l’hiver québécois.
Parmi les enjeux auxquels sont confrontés les travailleurs étrangers, il y a la recherche de logement qui est difficile à Sept-Îles.

Selon Mme Fragoso, de plus en plus d’entreprises doivent s’impliquer dans cette recherche pour s’assurer que leurs travailleurs auront un logement à leur arrivée.

Le Centre alpha Lira a notamment œuvré à l’intégration des travailleurs malgaches arrivée au printemps 2021 pour travailler comme préposé à la résidence des Bâtisseurs à Sept-Îles.

Pas d’impact pour le Centre sylvicole de Forestville

En Haute-Côte-Nord, le Centre sylvicole de Forestville, propriété de la Société d’exploitation des ressources de la Vallée (SERV), doit aussi faire appel à la main-d’œuvre immigrante pour combler la pénurie de personnel.
Johannie Gaudreault

Toutefois, comme il s’agit d’une entreprise agricole, « il n’y a pas d’impact quant à l’augmentation du seuil pour l’emploi de travailleurs étrangers temporaires », selon Esther Carrier-Bédard, directrice des ressources humaines chez SERV.

Ce sont des Guatémaltèques qui sont embauchés par le centre sylvicole depuis 2018 via Ferme-Qc.

« Ce serait beaucoup plus simple d’avoir des employés de la région, concède Mme Carrier-Bédard. L’embauche de travailleurs étrangers temporaires est une solution de dernier recours puisqu’elle comporte son lot de complexité et de lourdeur administrative. »

La pandémie n’aide en rien pour les processus de recrutement à l’étranger.

« Nous faisons face à encore plus de problèmes logistiques et nous avons des inquiétudes constantes quant au retour des anciens travailleurs considérant les changements constants dans la règlementation de déplacement à l’international », fait savoir la directrice.

Cette dernière assure toutefois être satisfaite des expériences vécues jusqu’à maintenant avec ce type de main-d’œuvre.

L’an dernier, l’entreprise a accueilli 9 travailleurs étrangers temporaires à Forestville et, pour la saison 2022, elle prévoit en embaucher 14, soit cinq de plus.

Le Centre sylvicole de Forestville doit embaucher des travailleurs étrangers temporaires pour combler la pénurie de main-d’œuvre. Photo : Courtoisie

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