DOSSIER | De nombreux Nord-Côtiers touchés par la fraude à l’assurance-emploi

Par Johannie Gaudreault 1:30 PM - 14 février 2022
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De nombreux Nord-Côtiers sont victimes des fraudeurs causant ainsi des délais de trois à six mois dans leur dossier d’assurance-emploi. Photo iStock

Action-Chômage Côte-Nord reçoit une dizaine d’appels par semaine de personnes victimes de fraude qui doivent composer avec un retard de prestations d’assurance-emploi.

« Il y a des journées que je réponds à trois ou quatre personnes seulement pour la fraude. 95 % de mes appels concernent ce sujet ou des prestataires qui n’ont pas encore reçu leur assurance-emploi en raison des délais qui s’allongent », affirme la coordonnatrice d’Action-Chômage Côte-Nord, Line Sirois.

Selon cette dernière, Service Canada ne confirme rien aux prestataires qui tentent d’obtenir des réponses. « Ce sont les agents spéciaux formés spécifiquement pour les dossiers de fraude qui avisent les personnes touchées. Ils font passer un long questionnaire afin de confirmer l’identité de la personne », dévoile Mme Sirois.

Toutefois, ce qui est le plus dérangeant pour la coordonnatrice est le triage des dossiers selon l’urgence de chaque situation. « Si la personne a un conjoint ou une conjointe qui peut payer l’épicerie ou a accès à une banque alimentaire, par exemple, son dossier ne sera pas considéré prioritaire. C’est aberrant de devoir trier les gens de cette façon. Tout le monde a un besoin urgent d’avoir ses prestations, après trois mois sans revenus », se désole-t-elle.

Line Sirois compare l’assurance-emploi en ce moment à « de l’aide humanitaire », ce qui est inacceptable selon elle. « Il y a des gens qui se sont même fait dire d’aller cogner à la porte de l’aide sociale, alors que ce programme a des critères bien précis qui ne s’appliquent pas souvent aux prestataires de l’assurance-emploi », ajoute la coordonnatrice.

Certains chômeurs n’ont pas vu avancer leur dossier depuis octobre dernier. Pour améliorer la situation, Ottawa a augmenté le nombre d’agents affectés à ces dossiers de 130 à 235. De plus, depuis la semaine dernière, Action-Chômage Côte-Nord peut s’impliquer pour faire débloquer les dossiers des Nord-Côtiers.

« Au début, on ne pouvait pas aider, raconte Mme Sirois. Les agents ne voulaient pas nous répondre. Il a fallu se fâcher et lever le ton pour pouvoir accompagner les personnes qui faisaient appel à nous. »

Avant de contacter l’organisme, les chômeurs doivent vérifier si leurs coordonnées bancaires ont été modifiées dans leur dossier Service Canada. Si tel est le cas, Action-Chômage recommande d’en informer leur institution bancaire, leur compagnie émettrice de la carte de paiement, les agences nationales d’évaluation de crédit, Équifax Canada et TransUnion Canada. La Sûreté du Québec et le Centre antifraude du Canada peuvent aussi être contactés.

« Il faut que le prestataire ait essayé de faire débloquer son dossier avant de nous contacter. Après, on peut joindre un agent de Service Canada et tenter de faire bouger les choses plus rapidement », de faire savoir Line Sirois, précisant que certains chômeurs ont même été fraudés à deux reprises. « Même si vous n’attendez pas de prestations, allez vérifier vos informations », clame-t-elle.

Action-Chômage Côte-Nord fait partie des mouvements qui réclament une réforme complète du régime de l’assurance-emploi du Canada depuis belle lurette.

« C’est une autre preuve qu’il faut une réforme. Le système informatique doit être changé. Service Canada n’a pas réussi à protéger les données de ses utilisateurs et rien n’indique qu’il a repris le contrôle puisque les délais continuent de s’allonger pour les personnes en attente de prestations », illustre la coordonnatrice.

Mettre de la nourriture sur la table des chômeurs

Pour Marilène Gill, députée de Manicouagan, il est inacceptable de diriger les prestataires d’assurance-emploi vers les banques alimentaires et l’aide sociale. « Il faut mettre de la nourriture sur la table des chômeurs avant tout », clame-t-elle, en entrevue au Journal Haute-Côte-Nord.

Selon la députée du Bloc québécois, le gouvernement fédéral devrait donner les prestations aux demandeurs et enquêter par la suite s’il s’agit d’une fraude « comme avec la PCU ». « L’important c’est de permettre aux gens de manger, de payer leurs factures. C’est la meilleure solution pour régler la situation à court terme », dit-elle.

Tout comme Action-Chômage Côte-Nord, le bureau de la députée reçoit une multitude d’appels téléphoniques de personnes victimes de fraude à l’assurance-emploi ou en attente de prestations. « Au début, en novembre, ça concernait la Basse-Côte-Nord, la Minganie, mais ça s’est étendu à la grandeur de la région et du Québec », témoigne Mme Gill.

Cette dernière encourage les citoyens à faire appel à ses services pour les aider à faire bouger leur dossier. « Il y a beaucoup de cas différents et on peut faire les liens avec les cabinets ministériels. Ça nous nourrit aussi sur ce qui se passe sur le terrain », de mentionner la politicienne.

En ce moment, environ 100 000 dossiers sont en attente de traitement chez Service Canada et les délais continuent de s’allonger. Les impacts sont non négligeables de l’avis de la députée qui souhaite que le gouvernement soutienne davantage les Canadiens. « Il faut faire attention à notre monde, insiste-t-elle. Déjà que le trou noir est difficile pour les travailleurs de l’industrie saisonnière, on demande aux gens de s’endetter. C’est inacceptable! »

Mme Gill déplore également que les solutions proposées aux prestataires soient les paniers gratuits de nourriture et l’aide sociale. « Au lieu de rediriger les gens vers d’autres ressources, le gouvernement devrait prendre ses responsabilités et remettre l’argent auquel les chômeurs ont droit. Nous avons les moyens de le faire et rapidement. »

Réforme plus que nécessaire

Évidemment, le projet de réforme du régime de l’assurance-emploi qui est réclamé depuis plus de 20 ans démontre sa nécessité dans les plus brefs délais, d’avancer la députée. « Pas de projets pilotes ou de changements mineurs, ajoute-t-elle. Une réforme globale et l’ajout de ressources qui connaissent le programme de l’assurance-emploi, c’est ça que nous avons besoin. »

La désuétude du système informatique cause des problèmes majeurs aujourd’hui, mais il n’y a pas que cette problématique, déclare Marilène Gill. L’accessibilité au programme n’est pas au point puisque « 40 % des travailleurs n’arrivent pas à s’y qualifier alors qu’ils y ont droit. C’est un système en entonnoir qui n’est pas égalitaire pour tous », illustre-t-elle.

La bloquiste espère un retour à la normale le plus rapidement possible pour les citoyens de sa circonscription qui sont touchés en grand nombre par la fraude et les délais de traitement des dossiers. Un comité a été créé pour débattre de la question à la Chambre des communes, sous la gestion de Louise Chabot, députée du Bloc québécois.

La députée de Manicouagan Marilène Gill reçoit une multitude d’appels de personnes victimes de vol d’identité. Photo : Courtoisie

10 000 dossiers touchés par la fraude, selon Ottawa

Environ 10 000 dossiers de prestataires canadiens sont touchés par la fraude du système de l’assurance-emploi, selon les réponses fournies par Service Canada au Journal Haute-Côte-Nord. Sur ceux-ci, 2 000 sont considérés urgents et traités en priorité au cours des deux prochaines semaines.

« Nous savons que la région du Québec a connu un nombre considérablement plus élevé de fraudes liées au vol d’identité. Des gens mal intentionnés profitent de cette situation pour tenter de présenter des demandes au nom de vrais clients », précise la porte-parole d’Emploi et développement social Canada, Marie Therrien.

D’après cette dernière, « les comptes de Service Canada n’ont pas été piratés ». Ce serait plutôt les informations soutirées à la suite d’un vol d’identité qui permettraient aux fraudeurs de soumettre une demande dans le cadre des programmes de prestations fédéraux.

« Les fraudeurs se procurent les identités volées, puis les utilisent pour tenter d’accéder aux prestations de Service Canada en se faisant passer pour de vrais clients », explique Mme Therrien, précisant qu’en temps de crise, le risque de fraude est encore plus élevé.

La porte-parole assure toutefois que la protection de l’intégrité des programmes de Service Canada est importante pour le gouvernement. « Nous utilisons l’analyse de données et les capacités de renseignements pour prévenir, détecter et empêcher les fraudes. Service Canada est déterminé à revoir les demandes avec diligence pour s’assurer que les prestations sont payées à ceux qui répondent aux critères d’admissibilité », déclare-t-elle.

Des investissements de 68,1 M$ sur quatre ans ont été annoncés par Ottawa en 2020 dans le but de soutenir des initiatives ministérielles visant à protéger l’intégrité des programmes de prestations.

« Service Canada n’a aucune tolérance pour la fraude ou le vol de programmes du gouvernement. Nous travaillons continuellement pour enquêter sur les opérations frauduleuses, et pour les surveiller et les démanteler », de mentionner Marie Therrien, par courriel.

Les clients dont les demandes sont jugées frauduleuses devront rembourser la somme versée par le gouvernement du Canada et pourraient faire face à d’autres conséquences pouvant aller jusqu’à des poursuites judiciaires, selon les informations transmises.

Impacts

Emploi et développement social Canada garantit une étroite collaboration avec les prestataires pour résoudre leur dossier le plus rapidement possible. « Le ministère reconnaît les difficultés que tout délai dans la livraison des prestations peut causer aux prestataires et à leurs familles, admet Mme Therrien. Les prestataires doivent communiquer avec Service Canada et fournir des renseignements supplémentaires pour continuer de toucher leurs prestations. »

La porte-parole confirme que les cas de besoins pressants sont priorisés pour le moment comme « les situations pour lesquelles les citoyens n’ont aucun revenu ». Elle rassure les prestataires qu’ils ne perdront pas leurs prestations en raison des délais.

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