Chronique : Les choix de Jasmin

Par Shirley Kennedy 12:00 PM - 16 février 2022
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Photo : iStock

Jasmin (nom fictif) a 30 ans et des poussières. Deux diplômes en poche et du vécu « plein la caboche». Aîné d’une fratrie de trois, il a fait office de figure parentale de la maisonnée plus souvent qu’autrement.

Pendant les 15 premières années de vie de Jasmin, la santé mentale et les problèmes de dépendances, inéluctable héritage générationnel, animent le quotidien de cette famille un peu différente du voisinage.

Entouré d’amis fidèles chez qui il se réfugie à l’occasion, il se laisse bercer par l’illusion qu’il est l’un des leurs, enivré par l’odeur des bons repas et l’insouciance de l’enfance des privilégiés.

Lorsque sa famille éclate, Jasmin est désigné par sa grand-mère maternelle pour lever le drapeau rouge quand sa mère « perd les pédales ». Âgé de 10 ans seulement, le petit Jasmin est un lanceur d’alerte professionnel. Et contrairement à notre lanceur d’alerte étoile Louis Robert*, Jasmin n’a jamais été congédié. Il s’est licencié lui-même. Jasmin a démissionné.

Ça s’est passé après que sa mamie bien-aimée, son unique source de salut et de bienfaisance dans cette maudite vie, le laisse tomber à son tour, emportée par la maladie.

Cette grande perte est l’élément déclencheur initiant un revirement de situation. Il comprend dès lors qu’il ne peut compter que sur lui-même et qu’il devra faire des choix déchirants. Après avoir abandonné, Jasmin se choisit.

Emballé par une amourette passagère, Jasmin quitte son patelin et laisse derrière lui frère et sœur éplorés. Il a 16 ans, un lourd bagage de déceptions et de souffrances mais le nouveau paysage lui fait du bien, lui donnant l’illusion que la vie d’avant n’est qu’un mauvais rêve.

Encouragé par sa belle-famille de l’époque qui l’accueille à bras ouverts, il entame des études de mécanicien, un bon métier exercé jadis par son grand-père qu’il n’a jamais connu, mais dont il en sait le plus grand bien.

Jasmin a soif d’indépendance, de vertiges et d’amour. Il connaîtra tout ça, fera les 400 coups et à 22 ans, il effectue un retour aux études. Il sait pertinemment qu’avec de la volonté, du travail et de la persévérance, il peut y arriver.

Bien qu’il se plaise dans son métier et que le travail ne manque pas, il a le goût d’aller plus loin. C’est son prochain objectif. Trois ans plus tard, il obtient son diplôme d’études collégiales en génie civil. Un job « au gouvernement » l’attend.

Bourreau de travail, il voit au bien-être de ses parents, frère et sœur lors des fins de mois plus douces. Il devient le héros de sa famille, l’autorité suprême. De mouchard et emmerdeur de première qu’il était pour ses parents, il devient conseiller, confident, il devient quelqu’un.

Jasmin n’aura pas d’enfants. Ses relations amoureuses sont difficiles, minées par les troubles de l’attachement et des relents amers de son enfance. Il a fait l’adoption d’un chien, fidèle et reconnaissant de l’amour que son maître lui porte et cela lui suffit amplement.

Il ne fera pas de retour en région non plus. Le magnifique paysage nord-côtier ramène à son esprit de trop mauvais souvenirs et surtout l’image d’une mère en dérive, d’un père désabusé, d’un frère brisé et d’une sœur en révolte.

Jasmin a décidé de les aimer de loin, à distance. Sa survie et son équilibre en dépendent.

Si on demande à Jasmin comment il a pu arriver à s’en sortir, il vous dira qu’il a puisé cette force dans l’amour et les encouragements reçus de sa grand-mère et de tout ceux et celles qui ont coloré à leur manière, les jours sombres de son existence.

C’est aussi en leur mémoire qu’il a décidé de retourner aux études, de se dépasser encore une fois.

En cette semaine des Journées de la persévérance scolaire, hommage aux grands-parents, tantes, oncles, amis, frères, sœurs, parents de sang, parents de cœur, moniteurs de tous horizons, enseignants, éducatrices, familles d’accueils, professionnels de la santé et des services sociaux, à vous toutes et tous, qui avez fait et faites la différence pour les Jasmin de ce monde.

Malgré qu’il soit issu d’un milieu défavorisé, Jasmin a pu étudier et améliorer son sort avec beaucoup de sacrifices et d’efforts.

Son parcours atypique, ponctué de petites victoires, de revers et de découragement, n’aurait pu mener ultimement à une éclatante et laborieuse réussite éducative sans le système d’enseignement public québécois.

Au Québec, la démocratisation de l’accès aux études supérieures permet aux jeunes comme Jasmin de croire en un avenir meilleur.

Les petits Jasmin américains n’ont pas cette chance. Selon the Institute of College Access & Success, les écoles publiques sont gratuites mais souvent peu recommandées et les écoles privées impliquent des frais annuels estimés à plus de 12 000 $ par an (elementary and high school).

Le coût total incluant les frais de subsistance et de logement d’une année universitaire aux États-Unis est estimé entre 40 000 $ et 50 000 $.

Ceci à moins d’accéder au système de bourses des universités qui couvre une partie des frais de scolarité selon le mérite ou la situation financière des jeunes ciblés pour leurs performances académiques remarquables.

* Louis Robert est un agronome québécois licencié en janvier 2018 par le ministère de l’Agriculture pour avoir informé les médias de l’influence des lobbys privés sur les recherches menées sur les pesticides. Qualifié de lanceur d’alerte par les médias, M. Robert a pu réintégrer son emploi 18 mois plus tard.

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