Des familles sans logement à Tadoussac

Par Johannie Gaudreault 12:00 PM - 5 avril 2022
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Mathieu Berger et sa famille se retrouveront sans logis à compter du 1er juin en raison de la pénurie de logements à Tadoussac. Photo courtoisie

Mathieu Berger est enseignant à l’école primaire de Tadoussac, village où il a emménagé en 2017. Il y a quelques mois, son propriétaire l’a avisé qu’il devait quitter son logement pour le 1er juin. Sa conjointe, ses deux enfants, ses animaux et lui se retrouveront donc à la rue, faute de logements disponibles.

La problématique de la pénurie de logements ne date pas d’hier, surtout dans le secteur ouest de la Haute-Côte-Nord, principalement à Tadoussac. Étant une municipalité touristique, les travailleurs sont nombreux durant la haute saison, mais l’hiver tout redevient calme. Le village est soudain replongé dans la tranquillité, laissant des maisons vides et endormies.

« Comme les entreprises se portent acquéreures d’un grand nombre de maisons pour loger leurs travailleurs, ça laisse peu de chance pour nous, les petites familles aux revenus de classe moyenne. C’est dommage parce que l’hiver, les résidences sont vides, alors que nous, on en a besoin à l’année », témoigne M. Berger, à la recherche de solutions.

De plus, plusieurs habitations ont été transformées en gîte ou auberge pour la clientèle touristique qui se fait bien présente lors de la saison estivale. « Au final, pour les familles, il ne reste plus rien », se plaint l’enseignant qui n’a pas réussi à mettre la main sur un bail ou une hypothèque depuis décembre.

Ce qui est d’autant plus exaspérant pour Mathieu Berger, c’est que les travailleurs ne viennent souvent que pour « un trip d’été ».

« Ce ne sont pas eux qui forment la communauté de Tadoussac. Ils viennent travailler, se faire du fun, faire le party et ils repartent », ajoute-t-il.

Selon le citoyen, « s’il n’y a pas d’actions qui sont entreprises pour enrayer cette problématique, il n’y aura plus de familles à Tadoussac, donc plus d’enfants et plus d’école. C’est vers ça qu’on se dirige avec une telle situation ».

Surenchère

Les maisons à vendre se font rares sur le marché tadoussacien, mais la surenchère est un phénomène qui nuit une fois de plus à l’accessibilité des résidences pour les familles.

« Une maison évaluée à 150 000 $ peut recevoir des offres d’achat de 300 000 $, dévoile Mathieu Berger. Comment je peux me permettre d’accoter une telle offre? C’est aberrant. »

Ces surenchères proviennent en grande majorité de la population entrepreneure qui cherche des endroits pour loger ses employés estivaux. C’est la pénurie de main-d’œuvre qui la touche de plein fouet, quant à elle, alors elle doit offrir des avantages pour attirer des travailleurs.

À titre d’exemple, la petite famille avait trouvé une demeure à acheter après avoir discuté avec la propriétaire. « Je lui ai fait part de ma situation et elle était touchée de nous savoir à la rue en juin. Elle a donc accepté de nous vendre la maison même si elle avait une autre offre alléchante », raconte le citoyen.

Le lendemain, l’organisme qui avait fait une première offre est retourné voir la dame qui vendait la résidence avec le notaire afin de lui faire signer les papiers immédiatement, selon le témoignage de M. Berger.

Pour M. Berger, la situation est tellement préoccupante que certaines personnes en sont rendues à solliciter les personnes aînées en fin de vie. « C’est ingrat de penser à faire des offres sur des maisons dont les propriétaires vont bientôt mourir. Ça démontre l’urgence d’agir », estime-t-il.

Règlement municipal

Plusieurs citoyens touchés par la pénurie de logements, dont Mathieu Berger, viendront témoigner lors de la séance municipale du 12 avril afin de revendiquer l’aide du conseil municipal. De l’avis du principal intéressé, il serait pertinent d’instaurer un nouveau règlement municipal comme à Percé en Gaspésie.

En avril 2021, cette municipalité québécoise a procédé à un geste rarissime, soit l’interdiction de toute nouvelle conversion de maison unifamiliale en résidence de tourisme dans l’ensemble de son territoire afin de favoriser l’établissement de familles dans un contexte de crise du logement.

Une autre solution qui a été envisagée est la construction d’un établissement pour loger les travailleurs qui s’amènent dans la municipalité pour la saison touristique.

« Encore une fois, ce seront les citoyens de Tadoussac qui paieraient la facture. Je ne suis pas d’accord », fait savoir Mathieu Berger, qui espère que son témoignage fera bouger les choses.

Toutefois, la construction d’un édifice à logements « pour ceux qui veulent rester à Tadoussac pour contribuer au milieu », ce serait une option intéressante, estime M. Berger.

La famille Berger n’est pas la seule touchée par cette problématique dans le village touristique. « Il y a une famille migrante qui n’a pas pu se loger et qui est donc partie habiter aux Bergeronnes », confie l’enseignant qui continuera à se battre pour cette cause, même s’il trouve une résidence d’ici juin.

Sensibilisation et écoute chez les élus de Tadoussac

Contacté par le Journal, le maire de Tadoussac Richard Therrien est bien au fait de la problématique qui touche sa municipalité. « Les conseillers et moi-même faisons de la sensibilisation auprès des organismes et entreprises touristiques pour limiter la surenchère », confie-t-il.

Effectivement, le maire s’est adonné à plusieurs rencontres selon les faits qui lui ont été rapportés par les citoyens. « J’ai rencontré des gens pour faire de la sensibilisation, mais Tadoussac est limité en termes de territoire. On est serrés et entourés de terrains privés », explique-t-il.

La pénurie de logements est au cœur des discussions au conseil municipal de Tadoussac. Les élus discutent de la problématique qui est néfaste notamment pour l’attraction et la rétention de familles ainsi que pour contrer le manque de main-d’œuvre. Mais, ils ne sont pas prêts à s’ingérer dans les transactions immobilières, selon le maire.

« On écoute et on ne conditionne pas la surenchère qui nous fait perdre des citoyens. Mais, on n’est pas encore rendus à la même place que Percé ou d’autres municipalités qui ont adopté des règlements pour interdire la conversion de résidence familiale en résidence touristique », divulgue M. Therrien, ajoutant que les protestations citoyennes sont nombreuses dans ces villages.

Mouvement encourageant

Dans les derniers mois, le marché immobilier a tout de même été en mouvement, estime l’élu. « Un mouvement léger, mais encourageant, ajoute-t-il. Il y a des petites familles qui ont réussi à acheter des maisons et il y a aussi eu une nouvelle construction. »

Le maire soutient également que la Municipalité possède trois terrains avec les services à vendre depuis 2017. Les coûts de ceux-ci seront d’ailleurs réévalués prochainement puisqu’il y a des intéressés. De plus, certains terrains privés cherchent des acheteurs, mais ce n’est pas pour tous les budgets.

Pour le moment, il n’y a aucun projet de construction de logements à la Municipalité « sur papier », mais, pour M. Therrien, « il est important de favoriser les familles ». « Je sais qu’il y en a au moins trois qui voudraient s’établir chez nous. Les familles sont le cœur de notre communauté, il faut les aider », insiste-t-il.

Toutefois, les habitations pour les travailleurs sont elles aussi importantes pour l’industrie touristique. Plus de 200 emplois sont disponibles pour l’été qui s’en vient à Tadoussac. « S’ils ne sont pas comblés par nos citoyens ou ceux des municipalités environnantes, ils le seront pas des gens de l’extérieur de la région qui auront besoin de se loger », souligne l’élu tadoussacien qui s’attend à un achalandage européen plus grand cette saison jusqu’à la fin octobre.

Une problématique territoriale et provinciale

Selon la préfète de la MRC de La Haute-Côte-Nord, Micheline Anctil, la pénurie de logements est une problématique qui touche toutes les municipalités du territoire. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet qui figure fréquemment à l’ordre du jour du conseil des maires.

« Que ce soit pour les personnes seules, les familles, les nouveaux arrivants, les étudiants ou les aînés qui aimeraient vendre leur maison, le manque de logements est une source de problème pour toutes les municipalités de la Haute-Côte-Nord », confirme Mme Anctil, en entrevue au Journal Haute-Côte-Nord, précisant au passage que les appartements de qualité disponibles sont d’autant plus rares.

Tel que divulgué par la préfète, trois instances municipales travaillent présentement sur un projet d’édifice à logements, soit Sacré-Cœur, Les Escoumins et Forestville. Les projets des deux dernières consistent en des résidences pour aînés autonomes grâce à une aide financière du programme AccèsLogis.

Récemment, un nouveau programme de subvention a été lancé, dont les critères ne sont pas encore tous dévoilés. Celui-ci est surveillé de très près par la MRC qui espère pouvoir en bénéficier sur son territoire. « Le programme d’habitation abordable Québec pourrait aider les promoteurs privés, et pas seulement des organismes, à mettre sur pied des projets de logements abordables, mais on ne connaît pas encore toutes les modalités », dévoile Micheline Anctil.

Ententes ministérielles

En février, le conseil des maires de la Haute-Côte-Nord a conclu une entente avec le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec (MAMH) pour contribuer au développement régional. Elle permettra notamment de payer l’expertise (arpenteurs, ingénieurs, architectes) pour appuyer les municipalités dans le déploiement d’habitations et de logements.

Celle-ci ira de l’avant prochainement, selon la préfète. « Chaque municipalité doit faire l’état de sa situation rapidement en ce qui concerne l’habitation sur son territoire dans le but d’avoir une vue d’ensemble pour la MRC », indique-t-elle en précisant que ce portait territorial devrait être complété d’ici le mois prochain.

Par la suite, la Municipalité régionale de comté et son équipe pourront accompagner et soutenir des projets municipaux afin qu’ils obtiennent de l’aide financière grâce à l’entente conclue avec le MAMH. « Il y a plusieurs municipalités qui réfléchissent déjà à des solutions. C’est une problématique qui va au-delà de notre MRC », de conclure Mme Anctil.

La préfète de la MRC de La Haute-Côte-Nord, Micheline Anctil. Photo : Archives

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