Plage Rochelois de Port-Cartier: l’heure de vérité

Par Émélie Bernier 4:00 PM - 17 janvier 2023 Initiative de journalisme local
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La plage Rochelois. Photo Steeven Chapados

La plage Rochelois. Photo Steeven Chapados

La tempête qui a balayé la Côte-Nord dans la nuit du 23 au 24 décembre a donné des sueurs froides à bien des riverains et les dégâts toujours visibles laissent peu de place à l’interprétation pour le maire de Port Cartier Alain Thibault et des résidents du secteur. Pour leur part, les défenseurs de la plage Rochelois ne comptent pas baisser les bras.

La fréquence des tempêtes, qui s’accélère, ne rassure pas David Vaillancourt qui vit à deux pas de la plage.
Le 23 décembre dernier, il attendait la tempête de pied ferme. «J’avais mis des sacs de sable, j’avais des panneaux de contreplaqué, j’étais paré. Je peux me le permettre. Étant entrepreneur, j’ai passablement d’équipement à ma disposition. On a été chanceux, les vents étaient plus d’est que du sud-est, mais il n’en manquait pas gros pour que ce soit la tempête parfaite… Toute la nuit, on est resté vigilant. Je ne veux pas faire ça aux 6 ans! On est dans l’urgence, là, ça prend une solution », commente-t-il.
Et si cette solution est la recharge granulaire de la plage, ainsi soit-il, clame le résident.

La plage Rochelois. Photo Steeven Chapados

« Jusqu’à maintenant, les gens qui sont touchés directement n’ont peut-être pas levé la main tant que ça pour s’exprimer, mais pour nous, c’est la logique. On n’a pas envie de risquer des bris à nos maisons ou de se faire exproprier… Ça s’est vu ailleurs », dit celui qui ne badine pas avec la sécurité. «La protection de nos infrastructures, de nos maisons et de nos vies, parce que ça peut aller jusque-là, tout ça a plus de valeur à mes yeux qu’une plage », lance-t-il.

M. Vaillancourt est persuadé que Port-Cartier, « la plus belle ville au Québec », peut demeurer attractive même si la plage Rochelois n’est plus un long ruban de sable. « Ce n’est pas le noyau économique de la place et si c’est ça, y’a moyen de l’embellir, en protégeant les infrastructures et nos maisons aussi! Je suis convaincu que la municipalité est capable de remplir le mandat d’attirer les touristes !»

Et à ceux qui défendent bec et ongles le sauvetage de la plage, il aimerait dire deux mots. «Ça fait 23 ans que je vis là et ça fait à peu près deux ans que je vois un fort achalandage. Des plages, il y en a partout sur la Côte Nord. Vachon, Brochu, Gallix, l’Ile McCormick : les gens peuvent aller à la plage partout ailleurs comme ils le font pour leurs activités saisonnières. Il faut réfléchir aux vraies priorités. »

Oscar Roussy. Photo Alex Caputo

Oscar Roussy habite le 84, rue Rochelois depuis 1989. La plus récente tempête l’a laissé pantois.

«J’ai vécu celle de 2016, quand ça avait érodé et que la passerelle était partie, mais en 33 ans, je n’ai jamais vu une tempête aussi énorme que celle de décembre. C’est marquant! »
La plage s’est érodée de quelques mètres devant son domicile. «L’eau a monté jusqu’à près de la rue. J’ai du sable sur mon terrain. La prochaine tempête, c’est la rue qui part! », lance-t-il.
L’absence de glace n’est pas étrangère à l’ampleur des dégâts, estime M. Roussy. « Depuis que je demeure ici, on avait de la glace qui se formait à la mi décembre jusqu’à la mi-mars, mais aujourd’hui, il n’y en a plus. Quand on parle de changements climatiques, c’est vrai et ça augmente sérieusement l’érosion. »

Le statu quo n’est pas une option pour M. Roussy.

«C’est dur de se battre contre des forces comme ça, mais il faut protéger les infrastructures. Il y a des belles maisons, il y en a qui agrandissent, qui rénovent, c’est important de garder ce coin-là, on ne peut pas laisser ça aller. Ça ne veut pas dire qu’il faut sacrifier la plage de sable, il y a peut-être moyen de trouver des solutions», avance-t-il.

Cela ne se fera pas sans heurt, mais des décisions devront être prises.

«Il n’y a pas de solution qui va pas plaire à tout le monde, c’est sûr. Les gens ont le droit d’exprimer leur opinion et ça prend des réponses aux questions si on veut trouver un consensus », conclut-il.

Volte-face du maire


Le maire de Port-Cartier Alain Thibault a vécu une épiphanie dans la nuit du 23 décembre.

«Non, je n’étais pas d’accord avec le projet de recharge granulaire. On a même fait annuler les audiences du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) prévues en juin. Mais avec la tempête qu’on a subi, la donne a changé. Il faut laisser faire l’émotionnel et devenir rationnel dans nos décisions. Il faut protéger nos infrastructures, les biens des citoyens et leurs vies!»

Alain Thibault. Photo Alex Caputo

À l’heure actuelle, la seule option est pour le conseil municipal est de redémarrer le projet de recharge tel que recommandé par le ministère de la Sécurité publique suite à l’étude de la firme Lasalle| NHC. «Il faut absolument que la Ville redémarre ce projet-là parce que c’est ce qui nous rend admissible à la subvention. On ne fera pas ces travaux sur le bras des citoyens! »,

La relance du projet de recharge granulaire impliquera toutefois la tenue d’une audience du BAPE où les citoyens auront l’occasion d’exprimer leurs doléances, rappelle le maire.

Les conclusions du BAPE pourraient faire bifurquer le projet vers une autre option. « Le ministère de la Sécurité publique dit « l’option la plus viable est la recharge granulaire », mais le BAPE peut dire, « c’est inacceptable! » Là, il faut juste relancer la machine pour qu’il se passe de quoi !», scande le maire qui voit l’épée de Damoclès vaciller au-dessus de la tête de ses concitoyens.

«Il y a une urgence d’agir. S’il y a une autre tempête, on est déjà plus vulnérable parce que le profil de la plage a changé et assure moins de protection. Sans être un expert, j’ai des yeux pour voir. On a déjà fait démolir des maisons et je ne veux pas rejouer dans ce film-là. Il faut penser collectif. »

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