Des Innus de la Côte-Nord ouvrent un refuge à Montréal

Par Alexandre Caputo 4:00 PM - 26 janvier 2023 Initiative de journalisme local
Temps de lecture :
Taki, une Inuk de 71 ans, a quitté son Nunavik natal pour fuir un conjoint violent. Sur cette photo, on peut la voir qui serre sa nièce dans ses bras au Square Cabot, à Montréal.

Des Innus de la Côte-Nord ouvrent un refuge pour les itinérants en plein cœur de Montréal, là où de nombreux membres des communautés se retrouvent sans ressources pour affronter le froid des nuits glaciales de l’hiver.

La Maison Raphaël « Napa » André ouvrira ses portes d’ici quelques semaines dans le centre-ville de Montréal. Cette offensive qui a pour but de poser un baume sur l’itinérance dans la métropole est menée par la Nation innue et le regroupement Mamit Innuat avec comme têtes d’affiche le Chef de la communauté d’Ekuanitshit, Jean-Charles Piétacho ainsi que Alexandra Ambroise, originaire de Uashat mak Mani-utenam.

Cette dernière a été policière une dizaine d’années pour le corps de police de sa communauté, avant de retourner aux études à Montréal. La pandémie étant venue brouiller les cartes, elle a décidé d’orienter ses énergies pour venir en aide aux plus démunis.

L’ouverture du refuge pour les personnes en situation d’itinérance, autochtones ou allochtones, survient près de deux ans après la mort tragique de Raphaël André, un Innu de 51 ans originaire de Matimekush-Lac John. Ce dernier avait été retrouvé mort gelé dans une toilette chimique de Montréal, alors qu’on venait de lui refuser l’accès à une place au chaud pour des raisons liées à la pandémie.

M. André ne constituait pas une exception en ce qui a trait aux membres des Premiers Peuples sans domicile fixe dans la plus grande ville du Québec. Selon Mme Ambroise, ce phénomène s’explique de plusieurs façons.

« Certains quittent leur communauté pour fuir des situations de violence ou de consommation » ,relate celle qui avait fait parler d’elle quelques mois avant le décès de M. André, lorsqu’elle avait distribué 280 repas à des itinérants de Montréal.

« D’autres viennent ici pour des rendez-vous médicaux et décident de tester les nouvelles opportunités qui pourraient s’offrir à eux », poursuit-elle. « Il y en a aussi qui se sentent rejetés par leur communauté, pour toutes sortes de raisons, et qui décident de quitter », poursuit-elle.


Bienvenue à tous

Pour Mme Ambroise, l’effort d’entraide se doit d’être le même, peu importe la communauté natale du citoyen.

« Oui Raphaël était un Innu, mais qu’il aille été un Cris, un Inuk, un Blanc, peu importe, c’est la solidarité entre les peuples que nous prônons », affirme-t-elle.

C’est donc au 2154 Rue Sainte-Catherine Ouest, à quelques pas du square Cabot, que les moins fortunés pourront trouver un brin de chaleur et casser la croûte avant de fermer l’œil.

Contrairement à la majorité des refuges, la Maison Raphaël « Napa » André accueillera les personnes intoxiquées. Du personnel formé pour intervenir avec ce type de clientèle se trouvera sur place.

Une trentaine de lits seront mis à la disposition de ceux dans le besoin dans l’édifice appartenant à Evangel Montréal, un groupe soutenant le mouvement chrétien évangélique de l’Église pentecôtiste.
Le refuge servira de dernier recours lors de la saison hivernale. Il fermera ses portes au mois d’avril.

« Au début, nous étions censés fermer en mars, mais on a encore de la neige en mars, on a réussi à gagner un mois de plus », explique Mme Ambroise.

Rappelons que la femme innue avait été au cœur de la tente Raphaël André pendant ses 15 mois d’existence. Cette tente chauffée fut installée dans le centre-ville suivant le décès de l’Innu de 51 ans. Le projet n’était censé durer que deux semaines, mais sa nécessité et sa popularité ont prolongé ce délai.

Impliqué loin de chez lui

La communauté innue d’Ekuanitshit se situe à près de 1 100 Km du square Cabot à Montréal.

Son chef, Jean-Charles Piétacho, est en deuil de sa fille adoptive, qui a perdu la vie juste avant Noël. L’Innue de 33 ans se trouvait en situation d’itinérance, à Ottawa.

Cette cause est chère depuis longtemps aux yeux du chef de la communauté qui se trouve en Minganie. C’est cependant lors d’un congrès de l’Association des Premières Nations, à Vancouver, que M. Piétacho a pris la décision de s’impliquer concrètement auprès de ceux qui sont dans le besoin.

« Nous dormions dans un très bel hôtel. À deux pas de la porte se trouvaient plusieurs itinérants autochtones. Je me suis dit : ça n’a pas de sens, il faut faire quelque chose », se souvient-il.

Pour M. Piétacho, le problème d’itinérance chez les membres des Premiers Peuples se manifeste moins dans les communautés, et davantage dans les grandes villes.

Le choix de s’associer à Mme Ambroise pour la coordination du projet de la Maison Raphaël « André » était logique pour le chef d’Ekuanitshit.

« Elle s’impliquait déjà beaucoup. Elle a un pied à terre à Montréal et connaît les personnes ressources du milieu », explique-t-il.

Square Inuit

L’espace vert situé en plein centre-ville de Montréal, à l’intersection des rues Sainte-Catherine et Atwater, semble être devenu un point de rassemblement pour les membres des Premiers Peuples en situation d’itinérance. Il est surnommé Square Inuit par ses usagers.

« Les gens ont tendance à vouloir retrouver les leurs lors de moments difficiles, c’est ce que nous voyons avec les Autochtones au square Cabot », note Mme Ambroise.

La coordonnatrice de la Maison Raphaël « Napa » André mentionne que les membres des Premiers Peuples de partout au Québec ont souvent les mêmes difficultés à s’établir dans la métropole que les immigrants internationaux.

« Que l’on parle des Inuits, des Innus ou de toute autre communauté, il y a entre autres les barrières de langues et de cultures qui peuvent nuire », pointe la femme innue. « Puis la communication entre les bandes et la province est déficiente, ce qui complique l’intégration des membres », poursuit-elle.

C’est notamment le cas de Raymond, un Inuk de 35 ans qui doit arpenter les rues de Montréal depuis qu’il a quitté son Nunavik natal, il y a de cela cinq mois.

« J’avais un emploi là-bas, mais je ne suis pas capable d’obtenir une preuve d’emploi de mon village, donc c’est dur de me trouver quelque chose ici », raconte-t-il, assis sur le trottoir froid de la rue Atwater. « Je ne peux même pas avoir de chômage ni de BS », se désole-t-il.

Salon l’aînée du square Cabot, une Inuk de 71 ans nommée Taki, la Maison Raphaël « Napa » André est très bien accueillie par la communauté.

« Ça nous prend une place au chaud, nous avons hâte à l’ouverture. La mort de Raphaël a ébranlé ceux qui se tiennent ici », affirme celle qui s’est établie à Montréal pour fuir un conjoint violent.

Partager cet article