Virage vert et emplois dans le secteur de l’aluminium: le vrai du faux

Par Emelie Bernier 8:00 AM - 15 février 2023
Temps de lecture :

Archives.

Est-il vrai que le virage vert qui permettra un jour de remplacer les anodes carbonées par des anodes inertes aura comme conséquence des pertes d’emplois importantes dans le secteur de l’aluminium? Une étude indépendante l’affirme, mais Jean Simard est catégorique. « C’est un mythe à déboulonner!», lance le président et chef de la direction de l’Association de l’aluminium du Canada.


La transition des anodes carbonées aux anodes inertes modifiera très certainement le travail de certains corps de métier au sein des alumineries, mais dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il n’est pas question de limoger qui que ce soit.

«Ça fait 20 ans, 30 ans qu’on fait des recherches pour développer un type d’anodes qui pourrait remplacer les anodes de carbone sans émettre de gaz à effet de serre (GES). Les anodes inertes sont le Saint Graal de l’industrie », explique M. Simard.

Si les recherches ont pris leur erre d’aller depuis quelque temps, c’est en partie grâce au géant Apple.
« Apple a fait faire une revue scientifique de ses sources d’approvisionnement de métaux pour voir qu’est-ce qui se développait dans les labos partout dans le monde afin de réduire l’empreinte de ces métaux dans l’avenir et identifier les projets les plus prometteurs. Ils ont vu que des recherches étaient en cours pour la décarbonation dans le secteur de l’aluminium, puis ils sont allés voir Rio Tinto et Alcoa, qui faisaient ces recherches chacun de leur côté. Ils ont marié ces grands compétiteurs! »

De cette union est née la co-entreprise Elysis. Celle-ci est non seulement soutenue par Apple, mais également par les deux paliers de gouvernement.

« Ils ont investi pour que ça se développe ici, au Canada, pour être les premiers. Et aujourd’hui, on a un centre de recherche à Saguenay qui est opérationnel et du métal a été produit en utilisant des anodes inertes », se réjouit M. Simard.

Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, rappelle-t-il.

« Le défi, et il est considérable, est de sortir de l’expérimental, de la démonstration à petite échelle à une production d’envergure industrielle. Ce n’est pas tout de produire ce métal à faible empreinte carbone, mais il faut aussi développer la capacité manufacturière pour fabriquer lesdites anodes inertes. »

Le jeu en vaut la chandelle. « Notre source d’énergie, l’hydroélectricité, est la plus propre au monde. Il ne reste que ces anodes qui émettent du carbone. Donc, si on s’en débarrasse, on devient l’endroit au monde où on peut produire de l’aluminium sans aucune émission! La complexité de l’œuvre comporte beaucoup d’opportunités. On part de zéro, c’est une page blanche! C’est à peu près comme quand Ford a développé la première usine pour développer les premières voitures », s’emballe M. Simard.

Cela dit, il a lu et entendu les inquiétudes sur d’éventuelles pertes d’emplois liées à l’implantation de cette nouvelle technologie, notamment à l’usine Alcoa de Baie-Comeau.

« Premièrement, ça ne se fera pas du jour au lendemain. On est en 2023 et cette transition va s’échelonner sur 10, 15 ans. On parle d’une transition industrielle de tout un écosystème. Oui, il y a des emplois liés à la fabrication d’anodes de carbone, mais ces emplois ne disparaîtront pas demain matin. Il faudra requalifier de la main-d’œuvre, certains vont prendre leur retraite. Ce sera très progressif dans le temps. On va développer tout un nouveau tissu industriel au Québec porteur pour l’avenir. Au lieu de devenir des acheteurs de techno, on devient des fabricants, des développeurs, des exportateurs », s’enthousiasme M. Simard.

La compétence québécoise dans la production d’aluminium ne fait pas l’ombre d’un doute et pour maintenir les standards, les ressources humaines seront importantes, rappelle-t-il.

« On est un des meilleurs au monde et on a tout intérêt à conserver ces actifs. On est dans un monde de plein emploi, il n’y a pas de monde à engager, donc les gens prennent de la valeur. C’est sûr qu’on va vers l’automatisation, vers l’intelligence artificielle pour demeurer compétitif, mais c’est un défi qu’on va relever tout le monde ensemble avec nos syndicats, nos employés. C’est une migration vers l’avenir », conclut-il.

L’ancien président syndical chez Alcoa n’est pas inquiet

Si prometteuse pour l’environnement, la technologie Elysis pourrait révolutionner la fabrication d’aluminium, mais aux dépens de milliers d’emplois au Québec, vient de révéler une étude indépendante.

Bien placé pour réagir à ses conclusions, Michel Desbiens prévient qu’il faut en prendre et en laisser.
Elysis est l’objet d’un projet pilote depuis quelques années au Saguenay avec la collaboration de Rio Tinto et Alcoa. Grâce à des anodes inertes, l’aluminium pourrait être produite sans émissions de gaz à effet de serre.

« Oui, on va perdre des jobs de journalier, mais ça va créer des jobs plus spécifiques », a assuré celui qui vient de quitter la présidence du Syndicat national de l’aluminium de Baie-Comeau après neuf ans, et qui espère maintenant devenir le prochain maire de Baie-Comeau.

D’ailleurs, c’est en plein débat des quatre candidats à la mairie, le 8 février, que M. Desbiens et ses trois adversaires ont été invités à réagir à l’étude par le président du Conseil central Côte-Nord (CSN), Guillaume Tremblay, visiblement inquiet des pertes d’emplois qui pourraient survenir. La CSN, faut-il rappeler, représente les quelque 750 membres du syndicat à l’aluminerie Alcoa de Baie-Comeau.
« Moi, je ne suis pas inquiet pour les jobs. Il va y avoir plus de jobs spécialisées », a conclu l’ancien président.

(Texte de Charlotte Paquet)

Partager cet article