Disparition à Sept-Îles : dures leçons de vie pour la conjointe de Samuel Gauthier

Par Alexandre Caputo 12:00 PM - 23 mai 2023 Initiative de journalisme local
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La conjointe de Samuel Gauthier, Carolanne Dufour.

Même si elle ressent toujours un chagrin indescriptible à la suite de la disparition du père de ses enfants à Sept-Îles, le 11 décembre dernier, Carolanne Dufour ne peut s’empêcher d’éprouver un certain soulagement, qui est difficile à assumer, elle qui tentait d’épauler son conjoint aux prises avec de graves problèmes d’alcool depuis les dix dernières années.

« Avec du recul, je réalise beaucoup de choses par rapport à ce que ça implique d’être en relation avec un consommateur », explique-t-elle. « Je tiens à partager mes réflexions des cinq derniers mois, parce que je sais que d’autres personnes pourraient se reconnaître dans ce que je dis et faire en sorte de ne pas vivre ce que ma famille vit présentement. »

« J’acceptais l’inacceptable […] la consommation [de Samuel] prenait de plus en plus de place dans nos vies et ça impactait les enfants », raconte celle qui précise être, et ce même avec le cœur brisé par la disparition de son conjoint, soulagée par le fait que sa jeune famille ne soit plus exposée aux problèmes de consommation de leur père. « Ce qui est soulageant, ou libérateur, c’est que l’énergie que je mettais à m’inquiéter de la consommation de Samuel, je peux maintenant la recanaliser pour la mettre sur mes enfants et m’assurer de ne plus jamais leur faire vivre quelque chose comme ça ».

Déculpabilisation

Maintenant mieux en mesure d’observer la situation d’un point de vue objectif, la mère de deux enfants reconnaît que, même s’« il y a sûrement eu un imprévu et que ça pourrait avoir dégénéré », son conjoint a quand même « pris ses propres décisions » dans toute cette histoire.

« Je ne voulais pas qu’il aille sur la Côte-Nord en décembre dernier », affirme Mme Dufour. « Chaque fois qu’il y allait, il restait plus longtemps que prévu, et chaque fois il finissait saoul ou en psychose », explique-t-elle. 

Elle raconte qu’à un certain moment, Samuel ne semblait plus si chaud à l’idée du voyage sur la Côte-Nord, mais qu’il a tout de même accompagné son ami, qui était venu le rejoindre chez lui, à Québec. 

« Son ami est venu le rejoindre de Port-Cartier en auto. Une fois à Québec, il a vendu son auto et ils sont partis pour Port-Cartier en autobus », se souvient-elle. « Je suis convaincu que la drogue a rapport dans cette histoire-là et que Sam était au courant, mais j’ai beaucoup de misère à croire qu’il savait à 100 % dans quoi il s’embarquait », nuance-t-elle, en mentionnant que l’appât du gain, surtout à l’approche des Fêtes, a du compter pour beaucoup dans sa décision.

C’est donc dans un mélange d’incompréhension et de frustration que Mme Dufour, qui est convaincue que son conjoint a été victime d’un meurtre non prémédité, amorce son deuil. 

« À travers tout ça, Sam a fait des choix », mentionne-t-elle. « Ça me brise le cœur de dire ça, mais au final, il aura eu un rôle à jouer dans sa propre mort », se désole-t-elle.

L’enquête de l’Équipe des crimes contre la personne de la Sûreté du Québec ne permet pas de confirmer, ou d’infirmer, la mort de Samuel Gauthier. Plusieurs personnes d’intérêt ont été rencontrées, mais aucune arrestation n’a encore été effectuée. 

Du déjà-vu pour un ex-enquêteur

Denis Miville, un enquêteur retraité de ce qui était jadis la Sûreté municipale de la ville de Sept-Îles, connait la réalité de la région, mais aussi celle du monde interlope qui en fait partie.

« Il y a beaucoup de bois et de lacs, le territoire est énorme », mentionne-t-il. « Ce n’est pas très compliqué de faire disparaître un corps ici », affirme celui qui a eu une carrière de 13 ans comme policier.

Le dossier de Samuel Gauthier et l’enquête ardue qui l’accompagne ne sont pas sans rappeler à M. Miville le meurtre de Gilles Legris, survenu en 1978. M. Legris, qui avait 26 ans au moment de son décès, avait été retrouvé sans vie au pied du barrage Sainte-Marguerite. 

« Au moins, nous avions le corps de la victime. L’enquête était donc plus facile à diriger que dans le cas de M. Gauthier », précise-t-il, en ajoutant que les techniques d’enquête et la technologie n’étaient cependant pas aussi élaborées qu’aujourd’hui. « À cette époque-là, si nous n’avions pas d’informateurs pour nous soumettre de l’information, nous n’avions rien. C’est ce qui s’est produit dans le dossier de Gilles Legris. »

L’enquête sur le meurtre de M. Legris, en 1978, avait finalement abouti dans la filière des dossiers non résolus de la Sûreté du Québec. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard, en 2009, que le tristement célèbre tueur à gages, Gérald Gallant, avouera son implication dans ce crime, qui se trouvait à être son premier meurtre. « C’était pas supposé être un meurtre du tout, ç’a mal tourné », avait déclaré Gallant, en 2014, en mentionnant qu’il était seulement censé « donner une volée » à Legris, le tout en lien avec une altercation survenue dans un bar de Port-Cartier. Gallant tentait, au moment de passer aux aveux, de s’attirer la clémence des tribunaux en lien avec d’autres crimes qu’il avait commis. 

L’ex-enquêteur, M. Miville, ne serait pas surpris de voir le dossier de Samuel Gauthier se conclure de la même façon que celui de Gilles Legris, même si actuellement, rien ne permet de conclure qu’il s’agit d’un meurtre.

« Si ça a un lien avec le monde criminalisé, un des individus impliqués va finir par faire une erreur et se faire coincer ; c’est souvent à ce moment-là que les confidences sortent », explique-t-il, en faisant référence à Gérald Gallant, qui s’était initialement fait arrêter pour une histoire de fraude, à Genève, en Suisse, avant d’avouer aux autorités avoir commis plus de 25 meurtres, dont celui de Gilles Legris.

Carolanne Dufour est du même avis que l’ancien enquêteur de Sept-Îles. « J’ai vraiment l’impression que quelqu’un va finir par parler et que l’enquête va pouvoir se fermer », avance-t-elle. « Mais je n’ai vraiment pas l’impression qu’on va réussir à retrouver le corps [de Samuel] », laisse-t-elle tomber.

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