Retour des baleines dans l’estuaire du Saint-Laurent : saison imprévisible, présence assurée

Par Renaud Cyr 6:30 AM - 25 mai 2023
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Un rorqual bleu, le plus gros animal sur Terre, fréquente périodiquement les eaux froides du Saint-Laurent pour s’alimenter. Photo Baleines en direct

Quelques individus de différentes espèces de mammifères marins ont effectué un retour progressif dans l’estuaire de fleuve Saint-Laurent durant les dernières semaines. Après la saison de 2021, exceptionnelle en terme de nombre d’observations, la saison estivale 2023 risque d’être davantage semblable à celle de 2022, le temps que les stocks de nourriture se stabilisent.

« Si j’avais une compagnie de bateaux, je ne serais pas inquiet pour l’observation et le nombre de baleines », déclare d’emblée Patrice Corbeil, vice-président du Groupe de recherche et d’éducation sur les mammifères marins (GREMM) et directeur du Centre d’interprétation des mammifères marins (CIMM).

« Tant que le fleuve continuera à apporter de la nourriture, les baleines vont continuer à venir manger ici et à fréquenter l’estuaire du Saint-Laurent », ajoute-t-il.

Pour les différentes espèces de baleines qui reviennent dans l’estuaire du fleuve après un hiver passé dans l’hémisphère sud ou ailleurs dans l’hémisphère nord, tout est une question de nourriture.

« Les eaux froides sont moins colorées que les eaux du sud, mais quand il y a des espèces, il y en a une quantité énorme », poursuit le directeur.

« C’est pourquoi elles font des milliers de kilomètres chaque année pour venir manger ici », termine-t-il.

Chenal laurentien

Le fond marin au large de Tadoussac a une géologie très particulière : une vallée sous-marine de près de 300 mètres de profondeur, irriguée du courant est-ouest de l’océan Atlantique, prend abruptement fin à 20 mètres de profondeur où l’on peut apercevoir le Phare du Haut-Fond-Prince.

« Le courant tape le mur, et les eaux remontent. Ensuite ces eaux se dirigent en direction est vers la Gaspésie et le golfe du Saint-Laurent », précise Patrice Corbeil.

C’est là que le krill, une espèce de zooplancton à la base de la chaîne alimentaire sous-marine, s’accumule et favorise la venue d’autres espèces comme le capelan et l’éperlan, qui terminent elles aussi dans l’estomac de certaines espèces de baleines.

« Le krill a de gros yeux et il a peur de la lumière, mais il a faim. Ce qui fait en sorte qu’il remonte en surface la nuit pour aller manger des algues », raconte le scientifique.

En replongeant pour éviter la lumière, le krill porté par le courant retourne vers le mur du Chenal laurentien et reste jusqu’à la fin de sa courte vie prisonnier de la boucle infinie des courants.

L’importance des stocks de nourriture

C’est ainsi que les stocks de nourriture, importants pour l’alimentation des baleines, sont dictés sous l’eau.

« Ça prend 2 ans au krill pour partir d’Anticosti, où il naît, pour arriver à Tadoussac avec les courants », dévoile Patrice Corbeil.

Ainsi, l’arrivée des baleines et la fréquence de leur passage sont dues à l’accumulation de nourriture qui varie d’année en année. Patrice Corbeil révèle ainsi à titre comparatif les résultats d’une récente étude parue en 2021 sur la consommation de nourriture des espèces de baleines.

« Un rorqual à bosse mange environ de 1,5 à 5 tonnes par jour, un rorqual commun à peu près 8 tonnes, et un rorqual bleu environ 15 tonnes », dit-il. « Il faut qu’il y en ait de la nourriture dans l’estuaire pour que les baleines passent leur été ici », s’exclame le directeur.

Les stocks de nourriture accumulés au fond de l’eau peuvent ainsi diminuer ou augmenter selon la prolifération des krills et les aléas des courants et de la nature.

« Pour qu’il y ait des quantités phénoménales de nourriture, il faut que le temps passe un peu », conclut-il.

2022, une année particulière

Ces variations peuvent inciter ou décourager les baleines à fréquenter l’estuaire du Saint-Laurent au niveau de Tadoussac, qui du même coup, impactent le nombre d’observations.

« En 2021 la fréquence des observations était hallucinante. 2022 était une année plus normale, qui ressemblait à 2020 en termes de nombre de baleines », observe Patrice Corbeil.

2022 fut également une année où les baleines se nourrissaient de manière « moins dynamique et de manière plus isolée qu’en 2021 », selon le directeur.

Bien qu’il soit difficile d’établir la cause exacte de ces changements de comportements, le temps de plongée a grimpé à plus de 10 minutes comparativement à 5 ou 6 en 2021.

« Ma boule de cristal me dit qu’elles vont encore chercher de la nourriture jusqu’à tant que les stocks de nourriture se refassent tranquillement », confie-t-il avec une pointe d’humour.

Fenêtre sur les bélugas

Le CIMM prépare un gros coup pour l’été, qui risque d’en mettre plein la vue aux dizaines de milliers de visiteurs qui fréquenteront l’établissement durant la saison.

Le projet Fenêtre sur les bélugas, amorcé en 2021, se réalisera au cours de l’été. Le projet comprend une expérience audiovisuelle immersive axée sur l’image et les sons avec des équipements à la fine pointe de la technologie.

Suivant un délai de livraison qui a retardé son transit, l’écran de 4 mètres de hauteur par 7 mètres de largeur sera installé « dans le meilleur des mondes vers la fin du mois de juillet », explique Patrice Corbeil.

Le directeur du CIMM promet toutefois que les visiteurs pourront profiter de l’expérience projetée sur un autre type d’écran jusqu’à l’arrivée et l’installation de l’écran géant, « qui on l’espère fera parler de lui », fait-il valoir.

« Pour l’instant le Centre est ouvert, nous avons toujours notre collection de squelettes, nos naturalistes commenceront à travailler avec le public après leur formation, et les cours de chant de baleines reviendront cette année », souligne le directeur.

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