Les agricultrices du Québec sont aux prises avec une surcharge mentale

Par Sébastien Auger, La Presse Canadienne 10:15 AM - 13 octobre 2024
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Cette photo d'une culture de soja à Lévis, au Québec, a été prise le 24 septembre 2024. La Fédération des agricultrices du Québec veut sensibiliser la population à une réalité préoccupante: la surcharge mentale. LA PRESSE CANADIENNE/Jacques Boissinot

Les femmes œuvrant dans le milieu agricole veulent sensibiliser la population à une réalité qui les préoccupe, la surcharge mentale. 

Le constat est frappant: selon un récent sondage Léger commandé par la Fédération des agricultrices du Québec (AQ), pas moins de 90 % d’entre elles considèrent que leur charge mentale est élevée.

Avec l’objectif de diminuer celle-ci, l’organisme a lancé cette semaine sur sa plateforme Tellementplus.ca sa programmation d’automne d’activités de soutien basées sur l’accompagnement par des pairs et des experts.

«Notre objectif est de soutenir un maximum de femmes et de leur fournir des outils, car le combat est loin d’être terminé. Il existe toujours de l’iniquité, des préjugés liés au genre et des barrières pour les femmes entrepreneures. Tant que ces enjeux existeront, nous travaillerons aux côtés des agricultrices pour améliorer leur sort», affirme la directrice générale de l’AQ, Katherine Rousseau.

Selon l’enquête, les principales sources de stress à l’origine de la surcharge mentale sont la gestion des tâches multiples, la pression de la productivité, les problèmes financiers, les responsabilités familiales et les conditions climatiques.  

«Grâce à ce sondage, nous pouvons cibler les besoins des agricultrices et ajuster nos offres en conséquence. Les résultats confirment ce que nos membres nous répètent depuis plusieurs années: la situation est préoccupante et nous concerne tous et toutes, considérant le rôle fondamental et structurant que les femmes jouent dans le secteur de l’agriculture au Québec», soutient Valérie Fortier, la présidente de l’AQ, qui fait partie des 27 % de femmes propriétaires ou copropriétaires d’entreprises agricoles dans la province. 

Cette productrice laitière de Saint-Valère, dans la région du Centre-du-Québec, souligne que même si le nombre de femmes est en hausse depuis ses débuts dans le métier, «la surcharge mentale a évolué aussi avec les années».

Les agricultrices intéressées peuvent être accompagnées dans tous les stades de leur parcours. «Nous offrons des programmes d’aide en démarrage de projet jusqu’au transfert d’entreprise parce que c’est quelque chose qui se planifie . Il y aura donc moins de surcharge», indique Mme Fortier. 

Cette mère de famille se sent privilégiée que sa relève soit assurée, ce qui est loin d’être la norme. 

«Sur mes trois enfants, une étudie présentement en mécanique agricole, une veut être vétérinaire et mon gars veut reprendre la ferme. J’aurai donc le trio parfait!», se réjouit-elle.  

Même si ses enfants sont aujourd’hui des adolescents, la conciliation travail-famille demeure un défi. «C’est un peu moins pire qu’avant, mais je joue plus à la “taximom”. J’essaie de concilier le travail, l’implication et le taxi!», lance Mme Fortier en riant. 

Selon sa propre expérience et les témoignages qu’elle entend, les femmes en ont généralement davantage sur les épaules que les hommes.

«Au niveau de l’entreprise, les femmes font sensiblement la même chose que les hommes. Mais par-dessus ça, il y a la comptabilité, qui est faite par les femmes à 90 %, la gestion de la famille et les tâches ménagères. On fait plus qu’une tâche dans une journée. On a plus de rôles.»

Les répondantes à l’enquête ont déclaré occuper en moyenne 5,1 fonctions différentes au sein de leur entreprise. 

Enrayer le syndrome de l’imposteur 

Par sa nature, l’agriculture est un domaine solitaire. Le fait de pouvoir compter sur un tel réseau permet de briser cet isolement, mais surtout de mettre des ressources en commun et ainsi de s’entraider. 

«On a des cellules de cours où une dizaine de productrices se rencontrent pendant plusieurs semaines. Chaque semaine, une femme parle d’une problématique spécifique qu’elle vit, et ensemble elles vont lui donner des pistes de solution. Une femme qui n’est pas dans le même genre de production peut lancer une idée comme ça et ça va être une idée qui a du sens. La femme va la mettre en pratique et ça va diminuer sa charge mentale», explique Mme Fortier, ajoutant que «plus notre charge mentale est élevée, plus on s’isole et plus ça empire».  

«Plus on va en parler, plus les femmes vont être capables d’aller chercher des outils pour s’aider et ça ne va aller qu’en s’améliorant, avance-t-elle. Il faut garder espoir.»  

La partie n’est cependant pas encore gagnée. Des préjugés persistent. 

«Souvent, les femmes ont le syndrome de l’imposteur. On a tendance à penser que parce qu’on est des femmes, on est restreintes. Il y a eu quand même une évolution, mais si on continue d’élever nos enfants en disant à la fille d’aider maman à cuisiner et au garçon d’aider son père à l’étable ou dans le champ, on ne change pas l’éducation. Il y a encore des préjugés dans toutes les catégories d’âge», affirme Mme Fortier.

Un exemple probant lui vient en tête. «Un soir, en revenant de l’école, ma fille qui étudie en mécanique agricole me dit: “Maman, je comprends pourquoi tu t’impliques à la Fédération des agricultrices”. Les gars avaient pris toutes les chaises pour s’asseoir le midi, une fesse sur deux chaises, pour montrer qu’il n’y avait plus de place pour elle. Elle me dit: “Je suis allée me chercher une chaise dans un autre local et je me suis assise à la table et je les ai regardés. Ce n’est pas vrai que je vais aller manger chez nous et leur donner raison que ma place n’est pas en mécanique”. On parle de jeunes entre 16 et 18 ans, donc il y a encore beaucoup de travail à faire pour changer les mentalités.»