Le comédien et mélomane Edgar Fruitier est décédé à l’âge de 94 ans

Par Caroline St-Pierre et Jean-Philippe Angers, La Presse Canadienne 9:23 AM - 12 décembre 2024
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Le défunt comédien et mélomane Edgar Fruitier apparaît sur cette photo non datée, fournie par la famille. PHOTO PC/Photo de Bo Huang **CRÉDIT OBLIGATOIRE**

L’érudit, mélomane, communicateur et comédien Edgar Fruitier, qui a terminé sa vie dans l’ombre, étant reconnu coupable d’attentat à la pudeur, est décédé à l’âge de 94 ans.

La famille a annoncé son décès par communiqué jeudi matin, affirmant qu’il était décédé le 29 novembre d’un arrêt cardiaque survenu dans son sommeil. Fruitier était atteint de la maladie d’Alzheimer depuis quelques années, selon sa famille.

«Ses proches conservent en mémoire sa grande érudition, sa passion intarissable pour la musique classique et son rire unique et contagieux», ont-ils écrit.

L’immense carrière de Fruitier, s’étendant sur plus de 60 ans, s’est terminée dans la disgrâce il y a quelques années: il a été reconnu coupable en juillet 2020 de deux accusations d’attentat à la pudeur. Le juge a cru le témoignage de la victime, qui était d’âge mineur au moment des faits, en 1974 et en 1976. L’accusé n’avait pas témoigné pour sa défense.

Pendant des décennies, Edgar Fruitier avait partagé avec le public son talent de comédien, mais aussi sa passion pour la musique classique. Il a été à la barre d’une émission de radio consacrée au classique, et fut un fidèle collaborateur de Joël le Bigot, à l’antenne de Radio-Canada.

Cette passion a aussi été transposée sur scène, avec «Edgar et ses fantômes»: le comédien mélomane, endormi, rêve que Bach, Beethoven, Mozart et Satie lui rendent visite.

Edgar Fruitier a été très présent à la télévision, tenant notamment des rôles dans «Le pirate Maboule», «Rue des pignons», «Terre humaine», «Montréal P.Q.» et «Sous le signe du lion». Et pour certains, plus récemment, il est d’abord et avant tout la voix — rocailleuse — du célèbre personnage de M. Burns dans l’adaptation québécoise des «Simpson».

Un visage de la télévision et du théâtre

Né à Montréal en 1930, Edgar Fruitier a amorcé sa carrière d’acteur en 1953. Plusieurs se souviendront de lui pour son rôle de Loup-Garou auprès du Pirate Maboule, dans «La Boîte à surprises», mais on l’a aussi vu dans «La famille Plouffe» puis dans «Les Belles Histoires des pays d’en-haut», où il interprétait le «boss Réné» de Bidou à Montréal.

Le petit écran lui a ensuite réservé des rôles dans «Rue des pignons», «La Petite Patrie», «Terre humaine», «Les Moineau et les Pinson», «Poivre et Sel», «Lance et Compte», «Montréal P.Q» et «Sous le signe du lion», entre autres.

Au théâtre, il a joué dans des centaines de pièces, de tous les genres. Il y a quelques années, il tenait l’affiche dans le classique américain «Douze hommes en colère», puis dans une comédie à grand succès, «Toc, Toc», de Laurent Baffie, qui se passe dans la salle d’attente d’un réputé spécialiste des troubles obsessionnels compulsifs. Edgar Fruitier y interprétait un patient gravement atteint du syndrome de la Tourette — avec tics et grossièretés à la carte.

Moins présent au cinéma, on l’a vu notamment dans «Le Soleil se lève en retard» (1977), d’André Brassard, où il jouait le directeur de l’agence de rencontres. On l’a aussi vu plus tard dans le film pour enfants «Opération beurre de pinotte» (1985).

Une classique passion

L’amour pour la musique classique d’Edgar Fruitier était bien connu, un amour qui lui est venu très jeune et qui l’a rapidement inspiré à vouloir conserver les enregistrements. Ce désir l’a poussé à acquérir plus de 50 000 disques au fil des décennies.

«J’étais tout petit lorsqu’un jour, j’ai entendu le premier mouvement de la 40e Symphonie de Mozart, que ma mère écoutait à la radio. Sauf que moi, à la fin, je voulais que ça recommence! Avec le disque en ma possession, je peux recommencer comme je le veux», avait-il déclaré à La Presse Canadienne au sujet de sa collection, en 2007.

Sa passion pour la musique, il a voulu la partager avec le public aussi souvent que possible, notamment en animant une émission de radio consacrée au classique, à l’antenne de Radio-Canada. Il a également lancé quatre coffrets «Les classiques d’Edgar», qui se sont vendus à près de 225 000 exemplaires, un succès que le principal intéressé n’avait pas vu venir.

«C’est un très gros succès et une très agréable surprise. Je ne pensais pas que cela fonctionnerait à ce point-là. J’étais vraiment sceptique au départ, jusqu’à ce que je prenne conscience qu’un tel coffret me permettrait de répondre aux questions que me posent les gens depuis très longtemps», déclarait-il en 2007 à La Presse Canadienne à la suite de la parution du premier coffret, vendu à 30 000 exemplaires.

«Edgar a toujours joué les seconds rôles et, à 80 ans, il n’était plus au sommet de sa gloire», racontait pour sa part l’instigateur du projet de coffrets, Jean-Claude Dumesnil, au journal «Les Affaires» en 2010. «Que quelqu’un veuille faire de lui une vedette était inconcevable pour lui.»

La parution du premier coffret est suivie de la création d’un spectacle, «Edgar et ses fantômes», mis en scène par Normand Chouinard. Le spectacle, écrit par Normand Chaurette, connaît un franc succès et de nombreuses supplémentaires sont ajoutées.

La radio a par ailleurs été un autre véhicule qui aura permis à Edgar Fruitier de partager ses découvertes musicales. Il était notamment collaborateur régulier de l’émission «Samedi et rien d’autre» avec Joël le Bigot, à l’antenne d’Ici Radio-Canada Première. Il animait également la série de concerts mensuels «Les Lundis d’Edgar» à la Maison de la culture Frontenac, à Montréal.

Mais en juillet 2020, Edgar Fruitier est reconnu coupable de deux accusations d’attentat à la pudeur. Alors âgé de 90 ans, il était accompagné au palais de justice de Longueuil d’une personne qui l’aidait à marcher. La victime, qui était âgée de 15 ans au moment de la première agression, disait considérer Edgar Fruitier comme un grand frère.

Il avait été condamné à six mois de prison, mais il est finalement sorti après moins d’un mois en raison de sa santé précaire.