Les ossements de la Pointe du Vieux-Poste retournent à la terre

Par Julien Greschner, Initiative de journalisme local 2:38 PM - 27 janvier 2025
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Site où les ossements ont été enterrés à la Pointe du Vieux-Poste. Photo Roberto Wapistan

Le cimetière de la Pointe du Vieux-Poste, situé sur la rive est de l’embouchure de la grande rivière Natashquan, est un site archéologique unique qui témoigne de la longue histoire des Innus dans la région et de l’établissement des premiers Européens sur la Côte-Nord. C’est en 2016 que des ossements humains ont été découverts pour la première fois sur ce site. Des jeunes de la communauté ont découvert un crâne et contacté la Sureté du Québec (SQ). Ces derniers craignaient d’avoir découvert la dépouille d’un homicide ou d’une noyade, mais les analyses de la SQ ont révélé qu’il s’agissait plutôt d’ossements autochtones anciens associés à un contexte archéologique et non judiciaire. L’action du vent cause beaucoup d’érosion dans ce secteur et des squelettes de corps humains qui étaient enterrés dans la dune commençaient à refaire surface. Personne ne se doutait qu’un ancien lieu de sépulture, vieux d’au moins 500 ans, venait d’être découvert.

Selon ce qui est connu à ce jour, les Innus fréquentent l’embouchure de la rivière Natashquan depuis des millénaires et les premières activités permanentes européennes sur le site dateraient de 1710, lorsque les Français y ouvrent un premier poste de traite.

Des documents historiques confirment également que la Compagnie de la Baie d’Hudson a opéré un poste de traite dans le secteur de 1824 à 1939. Ce cimetière innu n’était mentionné dans aucune archive, mais son existence, bien que son emplacement exact fût inconnu, était mentionné dans les récits oraux des Innus de Nutashkuan. Roberto Wapistan est le coordonnateur des négociations pour la communauté innue de Nutashkuan et il est responsable du dossier de la protection et de l’investigation de ce site patrimonial.

Il confirme que les récits oraux mentionnaient l’existence de ce cimetière : « Mon père nous disait qu’il y avait un ancien cimetière de l’autre côté de la rivière Natashquan, mais on ne savait pas où. Ses parents ou ses grands-parents lui avaient dit qu’il y avait un ancien cimetière par là-bas ».

M. Wapistan a collecté régulièrement des ossements sur le site depuis 2016 au fur et à mesure que l’action du vent les exhume hors de la dune. Tous ses artéfacts ont été confiés à l’organisme Archéo-Mamu de Baie-Comeau pour être analysés et datés.

Les recherches menées par Archéo-Mamu ont permis d’analyser des restes humains appartenant à une vingtaine de personnes, majoritairement autochtones, mais aussi à trois individus d’origine européenne datant de l’ère du poste de traite. Les analyses au carbone situent les ossements les plus anciens entre 1520 et 1564, bien avant l’établissement du premier poste de traite français en 1710.

Les observations faites par Archéo-Mamu montrent également l’évolution des pratiques funéraires sur le site. Alors que les dépouilles les plus anciennes étaient placées sans ordre particulier, les plus récentes — datant de l’ère de la christianisation — sont orientées selon des positions standardisées avec l’utilisation de cercueils. Cette transition illustre l’impact culturel des premiers contacts entre les Européens et les peuples autochtones.

Malheureusement, Archéo-Mamu, un organisme d’archéologie sans but lucratif situé à Baie-Comeau, a cessé ses activités au printemps 2024 faute de financement. Aucun autre organisme d’archéologie offrant des services similaires n’existe sur la Côte-Nord. Cette fermeture a donc forcé le rapatriement des ossements conservés dans l’entrepôt de l’organisme à Baie-Comeau. C’est ainsi qu’en novembre dernier, les ossements analysés ont été enterrés à nouveau sur le site, dans une cérémonie empreinte de respect, sanctifiée par le prêtre de la communauté. Le conseil de bande de Nutashkuan travaille maintenant à l’élaboration d’une plaque commémorative et d’un panneau d’information pour souligner l’importance historique et culturelle de ce lieu.

Pour Roberto Wapistan, la préservation de ce site est essentielle. « Si d’autres ossements font surface dans le futur, nous les réenterrerons avec le même respect sur ce site patrimonial », affirme-t-il. Cependant, la protection du cimetière reste un défi. Le site se trouve sur un immense terrain privé appartenant à une famille belge. La communauté en fait la revendication dans le cadre de leur négociation territoriale, mais les négociations du traité de Petapan sont dans une impasse après que le gouvernement du Québec ait renié son engagement de conclure une entente avant le 31 mars 2023.

Québec a plutôt décidé d’imposer un nouveau délai et a demandé de renégocier des chapitres de l’entente qui avaient déjà été convenus. Le gouvernement Legault n’a toujours pas expliqué sa décision de faire volte-face et d’empêcher l’aboutissement de plus de 40 ans de négociation entre le gouvernement et les communautés innues de Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan. Les chefs innus ont accusé le gouvernement de faire preuve de « mauvaise foi » dans le processus de négociation. Ils ont revendiqué à maintes reprises de rencontrer le premier ministre François Legault pour dénouer l’impasse, mais sans succès.

Alors que les vents continuent d’éroder les dunes de la Pointe du Vieux-Poste et d’exhumer de nouveaux ossements, la communauté de Nutashkuan continuera à se battre pour que ce site unique soit préservé et valorisé comme un symbole de leur histoire collective et un site patrimonial d’importance.