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Bâtir une « route du fer » entre le Japon et Sept-Îles

Par Emy-Jane Déry 5:00 AM - 13 mai 2025
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Pierre D. Gagnon, PDG du Port de Sept-Îles. Photo Emy-Jane Déry

Le fer de la fosse du Labrador est en train de se positionner de manière à ce que les yeux du monde entier se rivent sur lui. Tout le monde veut atteindre le « net zéro » et il pourrait bien être la clé du succès pour y parvenir. Et cette clé, elle transbordera par le Port de Sept-Îles afin d’être livrée à destination.

En 2024, le Port de Sept-Îles a fracassé un autre record de tonnage avec 38,9 millions de tonnes de marchandises transportées. C’est l’industrie du fer qui est en grande partie responsable de ces résultats, qui lui valent le titre de deuxième port en importance au Canada, devant Montréal, derrière Vancouver, et celui de premier port minéralier en Amérique du Nord.

L’industrie minière et les opérations du port sont intimement liées. Sur ces millions de tonnes records manutentionnées, 5 millions sont allés vers le Japon, un volume qui est appelé à grandir, assure le PDG du Port de Sept-Îles, Pierre D. Gagnon. 

Le Japon est le troisième producteur mondial d’acier et il s’intéresse au minerai pur de la fosse du Labrador. À la fin de 2024, la filiale de Champion Iron, Minerai de fer Québec, a d’ailleurs annoncé la conclusion d’une entente avec deux sociétés japonaises pour son projet Kami.

Nippon Steel Corporation, le plus grand aciériste du Japon, et Sojitz Corporation sont désormais impliqués à 49 % dans l’aventure, qui, si elle s’avère, nécessitera des dépenses d’investissement de plus de 3,5 milliards de dollars.

La mine qu’on veut y développer a des caractéristiques similaires à celle du lac Bloom, explique le PDG du Port de Sept-Îles, qui est aussi ingénieur minier de formation. C’est qu’il s’y cache un minerai d’une pureté pouvant aussi atteindre 69 %, valeur rarement égalée sur la planète. 

Sur les 38,9 millions de tonnes de marchandises transportées en 2024, environ 5 millions ont pris la direction du Japon. Photo Port de Sept-Îles

« Sur la scène mondiale, au niveau du marché du fer, nous allons avoir une attention particulière des aciéristes qui veulent décarboner, parce que ce matériel, avec sa pureté, vient accroître l’efficacité dans les fourneaux à arcs électriques et permettre aux aciéries de dire qu’elles ont réduit leur emprunte environnementale et qu’elles ont ainsi évité de produire plusieurs milliers de tonnes de GES (…) ce qui est la tendance lourde à l’échelle planétaire », dit Pierre D. Gagnon. « Tout le monde veut se positionner pour atteindre le “net zéro” en 2040-2050. Le fer canadien, québécois, est en train de se positionner de façon très intéressante. » 

Pour la petite histoire, les fours à arcs électriques sont utilisés pour la production d’acier et ils fonctionnent de manière optimale avec du minerai de fer d’une haute pureté, lire ici celui de la fosse du Labrador. Le Japon est avant-gardiste dans sa manière de produire de l’acier. 

« On a des partenaires, à l’autre bout [au Japon], qui sont des leaders au niveau du domaine de l’acier et qui sont aussi futuristes au niveau d’avoir déjà certains de leurs procédés qui utilisent de l’hydrogène. Pas en grande quantité pour produire beaucoup d’acier vert, mais ils sont en train d’intégrer cette nouvelle approche, de se débarrasser du charbon ou de l’électricité pour produire l’acier et introduire l’hydrogène vert, qui vient permettre de réduire de presque 95 % les émissions de gaz à effet de serre », souligne M. D. Gagnon.

Sur la planète, 10 % des GES sont liés à l’industrie sidérurgique. « Si tu veux commencer à aller récupérer, ou éviter des GES, c’est un secteur qui est ciblé », dit-il. 

Bon an mal an, le Japon utilise environ 55 millions de tonnes de minerai de fer pour ses besoins de production de l’acier. Il va les chercher majoritairement en Australie, un peu au Brésil et approximativement 10 % de ses besoins au Canada. 

« Les acteurs du Japon comme Nippon et Sojitz, ce qu’ils voient au Québec, c’est une terre propice pour rejoindre leurs intérêts pour décarboner leurs activités avec le meilleur matériel qui existe sur la planète en termes de minerai de fer »

– Pierre D. Gagnon

« Nous sommes en liaison, discussion, pour être en mesure d’explorer », révèle Pierre D. Gagnon, à propos des démarches du Port de Sept-Îles. « Les acteurs du Japon comme Nippon et Sojitz, ce qu’ils voient au Québec, c’est une terre propice pour rejoindre leurs intérêts pour décarboner leurs activités avec le meilleur matériel qui existe sur la planète en termes de minerai de fer », dit le PDG du port. « C’est un avantage duquel il faut tirer profit et voir comment, de notre côté, on peut aussi jouer un rôle d’être proactif pour venir mettre l’infrastructure qu’ils ont besoin pour cette croissance, et aussi, aller chercher l’attention de nos paliers de gouvernements pour être en support, spécialement dans le contexte que l’on vit actuellement, où on cherche des opportunités pour diversifier nos chaînes d’approvisionnement, moins dépendre de nos voisins du sud et trouver des opportunités pour aller créer de la richesse. »

Au-delà de leurs capacités techniques, les ports sont des outils de commerce, voire des « tremplins » pour créer des échanges commerciaux, affirme M. D. Gagnon. 

Dans cette optique, des échanges ont actuellement lieu avec les différents acteurs de la chaîne logistique, soit des entreprises comme Minerai de fer Québec, leurs partenaires japonais, le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, ainsi que celui des Relations internationales et de la Francophonie. 

L’objectif est de trouver une avenue afin de mettre en place, au courant de 2025, « un corridor du fer de haute pureté », ou un « branding pour faire valoir cette opportunité ». 

« Faire la démonstration du moyen par lequel notre minerai de fer vient aider à décarboner la planète, autant celui d’ArcelorMittal, de Minerai de fer Québec et d’IOC également. On a cet avantage stratégique (…) Les entreprises comme telles, ce n’est pas leur corde de faire valoir cela, mais nous, par rapport à comment globalement sur le marché, au niveau des échanges commerciaux, on peut faire la démonstration qu’on est un joueur clé, un acteur clé, qui vient aider à décarboner l’industrie de l’acier sur la planète (…) c’est une belle histoire, faisons-là connaître ! » 

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