Le bilan de santé 2024 du Saint-Laurent : « presque sans glace »

Alice Young 12:50 PM - 23 mai 2025
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La couche de glace qui recouvre le fleuve Saint-Laurent est de moins en moins épaisse. Photo Pêches et Océans Canada

C’est l’heure du bilan « de santé » pour le Saint-Laurent : malgré l’apparition d’eau plus froide à l’entrée du golfe, l’hiver fut « presque sans glace » et plusieurs espèces demeurent menacées par la chaleur record des dernières années, selon l’Institut Maurice-Lamontagne.

Pour l’eau de surface du plateau madelinien, à l’est du Nouveau-Brunswick, toutes les semaines ont été plus chaudes que la norme, depuis 1982.

« Les quatre dernières années étaient largement au-dessus de la tendance normale de réchauffement », révèle le scientifique Peter Galbraith. 

La température de l’eau est analysée selon les trois couches de profondeur ; la surface, la couche intermédiaire et les eaux profondes. Le constat majeur pour 2024 : le volume de glace était le plus faible depuis 1969.

« Si on se projette dans une centaine d’années, ce sera exceptionnel lorsqu’il y aura une couche de glace », révèle le scientifique Peter Galbraith. 

L’apparition d’eaux plus froides à l’entrée du golfe fait naître une lueur d’espoir dans ce bilan.

« Le seul bémol c’est qu’à 200 mètres, on a vu les eaux les plus chaudes dans les dernières années ».

Des données en « contradictions » pour Peter Galbraith. La température de l’eau en 2024 était aussi moins chaude qu’en 2022, année qui a fracassé les records. 

L’acidification des eaux, c’est-à-dire la diminution du pH liée à l’absorption du CO2, augmente à une vitesse frappante. Les conditions d’acidité ont augmenté de plus de 100 % en moins de 100 ans, dans les eaux profondes de l’estuaire. En 2024, les scientifiques ont constaté que les valeurs de pH étaient anormales dans toutes les régions. L’impact sur les espèces varie selon leur capacité d’adaptation.

« Quand ils dépensent de l’énergie pour s’adapter à des conditions plus acidifiées, ils ont moins d’énergie pour grandir », explique la chercheuse Martine Lizotte. 

Le phoque et le plancton sous haute surveillance

La détérioration des glaces a un impact direct sur la population de phoques. En 2022, le dernier estimé des naissances de phoque était le plus faible depuis 1994, avec un total de 14 100 « chiots ». 

« Maintenant, on a un autre joueur, on doit tenir compte des changements environnementaux dans la gestion des stocks », lance l’experte Joanie Van de Walle. « On est dans une zone de prudence, […] on devrait commencer à adopter des mesures pour ramener le stock dans une zone saine. »

L’océanographe Marjolaine Blais est préoccupée par le déclin drastique du plancton Calanus hyperboreus, une proie de choix pour plusieurs espèces marines dans l’estuaire et le nord-ouest du Golfe. Si cette tendance se propage à la région du plateau madelinien, un impact important pourrait se faire ressentir sur la baleine noire.

« Même si ça s’améliore dans les prochaines années, il reste que le Calanus a une partie de son cycle de vie en surface, ça se fait dans un contexte d’eau plus chaude et on ne s’attend pas à une amélioration à ce niveau-là. On s’attend à presque une disparition dans le golfe du Saint-Laurent. », révèle-t-elle.

Pas tout de suite « l’effondrement »

Questionnés sur la gravité du réchauffement du Saint-Laurent, les scientifiques refusent de percevoir ces changements comme un « effondrement » des écosystèmes. 

« Ce qu’on constate c’est que ça va se traduire par des pertes d’habitats pour certains, mais des gains pour d’autres. Je ne crois pas qu’on se dirige vers un Saint-Laurent sans vie. », rassure Marjolaine Blais.

L’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli, du réseau de Pêches et Océans Canada, est un des principaux centres de recherche francophones en sciences de la mer. Depuis 1987,  ses scientifiques étudient la gestion des écosystèmes aquatiques.

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