Port de Sept-Îles : une jeune PDG qui n’a pas froid aux yeux

Par Emy-Jane Déry 6:30 AM - 13 octobre 2025
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Alexandra Chouinard, dans le Pavillon signature innue Mishtanapeu Atshapi, où elle a prononcé les premiers mots de son premier discours public en tant que PDG du Port de Sept-Îles en innu-aimun. Une façon pour elle de dire : « je souhaite parler le même dialogue que vous », en s'adressant aux Premières Nations, qu'elle souhaite incluent plus tôt que tard dans tous les projets. Photo Emy-Jane Déry

Elle vient de là où l’eau est salée. Elle est très instinctive et pour bien gérer la pression, elle fait des marathons. Les projets de plusieurs centaines de millions de dollars qu’elle a maintenant sur son bureau ne lui font pas peur, bien au contraire. Ce sont des opportunités, des défis dit-elle, les yeux brillants. À tout juste 36 ans, Alexandra Chouinard est la plus jeune PDG dans l’industrie maritime au Canada. Une femme dans un monde d’hommes.

« Ça fait depuis que j’ai 10 ans que je sais qu’un jour, je vais travailler dans un port », lance Alexandra Chouinard. « Maintenant, je peux le dire. »

Native de la Gaspésie, Alexandra Chouinard a grandi à Sept-Îles, où elle a étudié au cégep en sciences de la nature. Ensuite, il y a eu le baccalauréat de HEC Montréal en administration des affaires. 

« La pression, j’ai appris à la gérer », affirme-t-elle avec aplomb. Elle arrive d’ArcelorMittal, où elle travaillait comme gestionnaire sur le mégaprojet de réhabilitation des quais. 

« C’est 116 M$ US., tout en conservant les opérations. À l’heure actuelle, c’est un beau succès », dit-elle. « Un succès collectif. Je ne suis qu’une petite partie dans tout ça. » 

Là-bas, elle a gravi les échelons en gagnant la confiance de ses confrères du monde minier, majoritairement des hommes. Elle est d’ailleurs devenue la première femme à être nommée directrice au sein du groupe Ingénierie et Projets depuis la fondation de la Compagnie Québec Cartier… en 1957. 

Bien qu’il y ait de plus en plus de femmes dans des postes décisionnels, l’équité demeure fragile, selon elle. 

« Pour moi, ce sera toujours un défi, mais c’est un défi qui ne me fait pas peur », dit-elle. « Il faut qu’on prenne notre place, il faut aussi qu’on sache défendre nos droits à prime à bord, nos intérêts, nos ambitions, nos valeurs. »

Et l’une des clés importantes depuis le début de son parcours professionnel fleurissant a été « ses ailiers masculins ». 

« C’est important d’avoir des ailiers masculins qui sont inspirants et qui nous permettent de nous élever ensemble. Comment fait-on front commun ? », illustre-t-elle. 

Les ports du corridor maritime Saguenay/Saint-Laurent comptent désormais trois femmes sur cinq comme PDG. 

« On est vraiment dans une nouvelle ère », dit celle qui ne manque pas de saluer le travail de son prédécesseur et de tous les « bâtisseurs » du Port de Sept-Îles. 

« Un quai multiusager, pour moi, c’est un exploit ! », lance-t-elle. « Quelque chose qu’il faut célébrer, qui est là pour l’avenir. Mais maintenant, comment on peut diversifier nos marchés ? ».

La prochaine décennie

Bien que la dépendance du Port à l’industrie minière va de soi, étant donné son emplacement géographique, la nouvelle PDG veut ouvrir les horizons. 

Elle a dans ses cartons l’optimisation du quai multiusager. De la façon dont l’infrastructure a été construite, il serait possible d’y ajouter une extension, un duc-d’Albe, qui permettrait d’accueillir simultanément deux navires.

« À l’heure actuelle, il y a une perte d’efficacité et ça, ça se traduit par du tonnage », identifie-t-elle. 

Si l’agrandissement de cette infrastructure déjà géante figure sur la liste d’épicerie de la nouvelle PDG, on y retrouve aussi des projets à plus petite échelle, mais non pas moins importants. 

« On veut faire du transport maritime pour durer. On a besoin aussi de redonner à la collectivité. On veut repenser, dans nos projets de développement durable, le bas de la ville, le Carré 395, ça fait aussi partie des beaux projets », évoque-t-elle. 

Et dans son « gros terrain de jeu » qu’est le Port de Sept-Îles, comme elle se plait à l’appeler, il y a aussi les premiers balbutiements de Métaux Torngat. Le potentiel de ce projet de terres rares amène l’administration portuaire à étudier les quais 39 et 40, à proximité de l’Aluminerie Alouette, qui pourraient être appelés à s’adapter. 

« C’est là qu’on irait créer une infrastructure qui nous permettrait de faire de la conteneurisation, ce que nous ne faisons pas à l’heure actuelle », révèle-t-elle. 

Tout ceci n’est pas étranger au projet Horizon 7 (900 M$ d’investissements possibles sur 3 ans) de la Société portuaire et ferroviaire de Pointe-Noire, qui elle aussi, a depuis peu un nouveau PDG à sa tête. 

Et parlant de partenaires, la zone industrialo-portuaire Port-Cartier/Sept-Îles risque de prendre de plus en plus de place. 

« On a intérêt à se mettre ensemble pour dire, au-delà de juste nos infrastructures, on a aussi même des partenariats pour aller chercher de nouvelles disciplines. »

C’est son instinct qui a mené Alexandra Chouinard à se diriger vers le Port de Sept-Îles. Sa petite voix intérieure, celle de cette petite fille de 10 ans qui se voyait déjà dans un port, a parlé. Qu’apportera maintenant la féminité à la tête du Port de Sept-Îles ?

« Les femmes, nous sommes très sensibles et nous apportons beaucoup d’agilité et d’humanisme dans les réflexions, dans de grands projets. On est très capables de cerner les tendances, les relations entre les partenaires (…) Notre sensibilité nous fait placer des cartes déjà deux, trois coups à l’avance. »