Érika Soucy : l’enfant « fly-in fly-out » devenue artiste

12 mars 2016
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Baie-Comeau – Durant son enfance, à Portneuf-sur-Mer, Érika Soucy n’a pas beaucoup vu son père. Mario travaille sur les chantiers de construction, dans le nord, et, quand il rentre, l’heure n’est pas à la fête. Pour comprendre, la petite fille devenue auteure et comédienne est partie une semaine sur le chantier de la Romaine 2, au nord d’Havre-Saint-Pierre. Elle en a tiré un roman, Les Murailles.

« J’ai ressenti le même rythme de vie », raconte Érika Soucy. Oui, après une semaine passée sur le campement des Murailles, sur le chantier la Romaine 2, avec son père, son frère, son oncle, Jean-Yves, Jimmy, Ti-coeur et les autres, elle a compris. « Ça te fera pas plaisir de savoir ça, mais faut que je l’avoue : j’ai pas envie de m’en aller. Je commence à peine à prendre le beat, à goûter au plaisir d’être à l’abri, loin des nouvelles, du ménage, des comptes à payer… Du p’tit qui se réveille le matin en pleurant », écrit-elle à son conjoint, à qui elle s’adresse dans son roman.

La jeune auteure de 26 ans a conscience que beaucoup peuvent se reconnaître dans son histoire. Celle d’un père absent, difficile à vivre, et de l’éclatement, presque inévitable, du couple formé par ses parents. Elle le glisse discrètement : certaines blessures ne sont pas encore refermées.   Pourtant, il y a de l’amour dans cette famille-là. « Je voulais montrer un côté tendre. Pour moi l’humanité est comme ça, ce n’est pas tout noir ou tout blanc », estime la jeune auteure. D’ailleurs c’est avec la complicité de son père et de l’employeur de celui-ci qu’elle a pu obtenir un emploi fictif sur le chantier. Aujourd’hui, elle l’assure, Mario « est très content de cette réalisation ».

Enfant « fly-in fly-out », comme elle l’écrit, Érika Soucy accepte avec modestie le rôle de « petit porte-parole », cependant, elle nuance. « Je ne veux pas généraliser. J’ai grandi dans une famille très matriarcale, avec les femmes qui décident de tout », assure-t-elle. Et puis, il ne faut pas l’oublier, Les Murailles reste un roman. Pour l’écrire, Érika Soucy s’est inspirée des notes prises durant son séjour à la Romaine, mais elle a aussi passé des entrevues avec des travailleurs, une fois de retour à Québec. En tout, le processus aura pris quatre ans.

La Côte-Nord

Les Murailles suinte la Côte-Nord, avec ses personnages un peu bourrus, mais attachants, et sa langue « orale », comme l’ont soulignées plusieurs critiques. « J’ai essayé de l’écrire en français normatif, mais cela ne marchait pas. Dès que j’ai fait le switch avec l’oralité, mon flot d’écriture est revenu », décrit la jeune femme.

Même si elle a quitté la région à l’adolescence, Érika Soucy a bien la Côte-Nord dans le sang et dans la plume. Ses deux premières œuvres, deux recueils de poésie, en parlaient déjà. « C’est sûr que je ne suis pas la meilleure des ambassadrices, parce que je suis partie. Mais c’est mon univers, mes souvenirs », explique-t-elle.

Pourtant, non, elle ne reviendra pas. Avec beaucoup d’émotions, Érika Soucy explique que, si elle n’était pas partie à Québec, elle ne serait peut-être pas devenue l’artiste qu’elle est aujourd’hui. Celle qui est aussi une jeune maman regrette le manque d’accès à la culture et l’abandon des écoles. Elle n’hésite pas à parler de talents gâchés et d’outils qu’on ne donne pas. « On va créer des grands chantiers, mais on néglige les écoles. Les gouvernements pensent à court terme, croit-elle. « Je trouve ça triste, ça me fend le cœur ».

Et après

Après Les Murailles, Érika Soucy a envie de reprendre la poésie. Une écriture qu’elle trouve « plus instinctive, moins structurée ». Elle pense, peut-être, se pencher sur la relation entre les blancs et les autochtones, dans laquelle la poétesse en elle voit « deux solitudes ».  « Je préfère dire que je suis raciste. Je le sais, j’ai été éduquée comme ça, mais je vais m’améliorer », explique-t-elle. Affaire à suivre.

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