Des aînés privés de soins à domicile en Haute-Côte-Nord

Par Johannie Gaudreault 12:00 PM - 2 mars 2023
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Claire Caron de Forestville ne reçoit plus de services d’aide à domicile depuis deux mois en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

Claire Caron n’a plus d’enfant. Son mari est décédé il y a plusieurs années. Âgée de 79 ans, la Forestvilloise n’avait pour seule visite que la préposée qui lui apportait de l’aide à domicile, mais elle en est privée depuis deux mois en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

Assise dans son fauteuil, elle ne peut concevoir de vivre dans la poussière et la saleté, mais ce qui lui fait le plus mal, c’est la solitude.

Même si la septuagénaire ne recevait pas d’aide chez elle tous les jours, au moins, elle avait de la compagnie quelques heures par semaine. « C’est toujours mieux que rien comme en ce moment », commente-t-elle, émotive.

« Si je tombe et que je ne peux me relever seule, qui va venir me porter secours? » se demande la dame qui assure ne pas être la seule dans cette situation qui lui cause de l’anxiété.

À la Coopérative de solidarité d’aide à domicile de la Haute-Côte-Nord, on lui répond qu’il est impossible de lui offrir des services ménagers en raison du manque de personnel.

Mme Caron ne comprend pas. Pour elle, s’occuper des personnes âgées devrait être un métier reconnu, « ce n’est pas un sous-métier, il me semble », dit-elle tout en étant consciente que ce n’est pas donné à tout le monde. « Il faut aimer les gens et avoir de l’amour à donner », reconnaît-elle.

Celle qui a fait du bénévolat toute sa vie n’arrive pas à accepter qu’autant d’aînés, comme elle, soient laissés à eux-mêmes en pleine détresse et que la société ne lève pas le petit doigt.

« On parle de la pénurie d’enseignants, de pompiers, de médecins, d’infirmières, mais nous, les personnes âgées, on n’en parle pas », soutient Claire Caron, qui souhaite améliorer son sort et celui de ses pairs.

L’âge lui provoque bien des maux physiques, ce qui l’empêche d’ailleurs d’effectuer l’entretien ménager de son logement comme elle le voudrait, mais la résidente de Forestville a encore toute sa tête. « Toute seule chez moi, sans personne à qui parler, c’est difficile moralement. »

Par chance, elle peut compter sur du soutien professionnel, notamment grâce à son travailleur social et sa psychologue. Mme Caron utilise également le service Info-Social (811) quand elle se sent vraiment découragée et désespérée par sa situation.

Il lui est même arrivée de penser au suicide. « Je me dis que je serais mieux morte que vivante parfois. »

« Les intervenantes m’aident beaucoup à passer à travers mes moments plus difficiles », admet-elle ne négligeant pas non plus les effets positifs de la zoothérapie avec son chat domestique.

Mais toutes ces ressources, elle doit les trouver de sa propre initiative. « Quelqu’un qui n’a pas toute sa tête comme moi ne peut pas y arriver seul », fait remarquer l’aînée dont la débrouillardise est évidente.

Claire Caron ne baisse pas les bras. Elle dépense toutes ses énergies à faire bouger les choses. Son souhait le plus cher : « aider toutes les personnes âgées qui se sentent seules et qui sont en détresse ».

Une situation commune

Claire Caron n’est pas la seule aînée qui se sent abandonnée par le système de santé et la société.
Au Centre d’action bénévole (CAB) Le Nordest, la directrice générale Marie-Eve Boivin s’en rend bien compte au nombre d’appels qu’elle reçoit pour demander des services d’aide à domicile.

« On m’appelle régulièrement pour savoir si on offre des services d’entretien ménager, de soins corporels ou de l’aide pour la prise de médicaments, témoigne Mme Boivin. On propose des services aux aînés, mais ce ne sont pas ceux-là. »

Le CAB Le Nordest propose du transport/accompagnement pour des rendez-vous médicaux, la popote roulante quatre fois par semaine, un centre de jour pour aînés et l’aide d’un travailleur de milieu.

« On a aussi un transport pour les commissions les jeudis après-midi, seulement à Forestville, parce qu’on manque de bénévoles pour les autres endroits », renchérit la directrice générale.

Mme Boivin est donc témoin de la détresse chez certaines personnes âgées, mais ne peut que les référer aux bonnes ressources telles que le CISSS et la Coopérative de solidarité d’aide à domicile de la Haute-Côte-Nord.

« C’est difficile de rivaliser avec les emplois dans les entreprises privées quand nous, les organismes communautaires, on est sous-financés par le gouvernement. Les demandes augmentent, mais le financement ne suit pas », dénonce-t-elle.

Une première liste d’attente en 17 ans

Depuis son existence en 2006, c’est la première fois que la Coopérative de solidarité d’aide à domicile de la Haute-Côte-Nord (CSADHCN) possède une liste d’attente. Une quinzaine de bénéficiaires sont privés de services actuellement au grand dam de sa directrice Sylvie Gagnon.

« Je n’ai jamais eu de liste d’attente. C’est la première fois que j’ai une liste aussi longue. Une ou deux personnes en attente de services, c’est déjà arrivé, mais 15 à 20, c’est la première fois », se désole Mme Gagnon ajoutant que la CSADHCN dessert environ 300 clients.

Cette situation est en lien direct avec la pénurie de main-d’œuvre qui sévit dans plusieurs secteurs d’activités, dont l’aide à domicile.

« On manque de personnel. Depuis l’année passée, c’est vraiment difficile de recruter. On engage et ils s’en vont », confirme Mme Gagnon qui précise que le salaire a augmenté de 3,75 $ de l’heure en un an avec la pandémie pour commencer à 18,25 $/heure et les préposées d’aide à domicile ne travaillent pas les fins de semaine.

Présentement, 35 préposées œuvrent au sein de la Coopérative et, idéalement, la directrice aimerait recruter au moins deux ressources supplémentaires.

« J’en avais 44 avant. Les nouvelles qui ont été embauchées ont un plus gros horaire que celles qui sont parties », témoigne-t-elle.

Les repas, du répit, le ménage, la lessive et les courses font partie des services offerts par la CSADHCN sur tout le territoire de la Haute-Côte-Nord pour les personnes âgées de 65 ans et plus.

« En ce moment, on dessert principalement celles qui ont une référence du CISSS. On a tellement de demandes, qu’on ne peut plus accepter celles qui travaillent », fait savoir Sylvie Gagnon.

Pour les personnes de 65 ans et moins qui ont une référence du CISSS, l’organisme ne peut prendre de clients actifs actuellement en raison du manque de préposées.

« J’ai une préposée que ça faisait 25 ans qu’elle travaillait pour nous. Elle a pris sa retraite et j’ai encore de la misère à la remplacer. Ça fait depuis mai l’année passée. Ça aucun sens », déplore la directrice qui vit aussi avec des employés en congé maladie sans pouvoir les remplacer.

En 19 ans de métier, Sylvie Gagnon n’a jamais fait face à une année aussi difficile. La femme au grand cœur aimerait pouvoir offrir les services à toutes les personnes qui en font la demande, « mais c’est impossible », admet-elle.

« Quand on a une place qui se libère, on regarde sur la liste d’attente qui a le plus de difficulté. Toutes les personnes âgées ont besoin de services, c’est ce qui me dérange le plus, mais je dois regarder selon les critères », poursuit la directrice qui se dit affectée aussi personnellement par la problématique.

Parmi les solutions, outre que publier des offres d’emploi sur différents réseaux, les heures de l’équipe administrative ont été coupées afin de pouvoir offrir un meilleur salaire aux préposées d’aide à domicile. « On donne nos heures pour que ça coûte moins cher à l’administration », soutient-elle.

Étant un organisme à but non lucratif, la CSADHCN n’a pas les moyens financiers de se tourner vers du recrutement international, qui demande temps et argent. « On espère qu’il y a des gens qui voudront venir aider les autres, faire un don de soi », conclut la directrice.

Notons que pour devenir préposée d’aide à domicile, il n’est pas nécessaire d’avoir une formation. La Coopérative offre un cours afin d’expliquer le travail aux personnes intéressées et leur donner les bonnes compétences pour accompagner les aînés.

Une pénurie « temporaire » au CISSS

Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Côte-Nord n’est pas épargné par cette rareté de main-d’œuvre, mais on assure que c’est une situation temporaire. « Les manques de main-d’œuvre actuels sont en lien avec des absences temporaires (maternité, maladie, etc.) », précise l’adjoint à la PDG – relations médias, communications et affaires corporatives (intérim), Pascal Paradis.

Toutefois, celui-ci mentionne que les entreprises d’économie sociale en aide à domicile du territoire et autres organismes communautaires « ont certaines difficultés de main-d’œuvre, ce qui restreint occasionnellement l’offre de service dans certains secteurs ».

« S’il y a peu d’usagers nécessitant du soutien à domicile, le faible nombre ne justifie pas la création d’un poste afin d’en offrir. En même temps, un usager pourrait avoir besoin de services tous les jours, par exemple pour de la distribution de médication. Donc, ce genre de situation amène des défis organisationnels », ajoute M. Paradis.

Le soutien à domicile rejoint plus de 4 000 usagers annuellement et plus de 200 employés du CISSS y œuvrent en ce moment. Plusieurs services sont offerts, dont des soins de santé physique (soins infirmiers, réadaptation, inhalothérapie, diététiste, médecin), du répit/gardiennage, services psychosociaux et services aux personnes proches aidantes.

Quant aux services pour les activités de la vie quotidienne (se nourrir, se laver, s’habiller) et les activités de la vie domestique (ménage, cuisine, lessive), ils sont offerts par des prestataires externes comme les entreprises d’économie sociale en aide à domicile ou directement par le CISSS.

« Toute personne ayant une incapacité temporaire ou permanente, ne pouvant recevoir ses services dans une installation physique de l’établissement » a accès à cette multitude de soins, informe le porte-parole du CISSS. Pour en faire la demande, il faut être référencé par un professionnel du CISSS, appeler au 811, option 2, ou à son CLSC local.

Les auxiliaires aux services de santé et services sociaux relèvent de la Direction du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées au CISSS de la Côte-Nord. Ils gagnent un taux horaire de 25,63 $ en plus d’une prime de rétention de 8 %, si applicable.

Plus de suicide chez les aînés

Au Centre de prévention du suicide (CPS) de la Côte-Nord, on constate davantage de détresse chez les aînés. Dans la dernière année, l’augmentation du nombre de nouveaux clients âgés de plus de 60 ans est très marquée.

En date du 31 janvier (donc pour 10 mois d’opération puisque l’année financière se termine en mars), on calculait déjà sommairement une hausse par rapport aux statistiques de 2021-2022, selon la responsable communications et développement, Kim Bouchard.

« L’isolement est effectivement un facteur nommé comme contribuant aux pensées suicidaires tout comme les deuils divers (mortalité, perte d’autonomie, etc.) et les différents diagnostics ou maladies », précise Mme Bouchard ajoutant que ces observations datent de la pandémie.

Les statistiques québécoises démontrent une migration des groupes d’âge les plus touchés par le suicide à travers les dernières années, et ce, autant chez les hommes que chez les femmes.

« Si on recule d’environ 5 ans, on mentionnait que le groupe d’âge le plus à risque était les 40-55 ans. Maintenant, on est plus autour des 50-65 ans », témoigne la porte-parole du CPS Côte-Nord.

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