Anticosti à l’UNESCO: « Un projet comme ça, ça n’arrive qu’une fois dans la vie »-John Pineault

Par Émélie Bernier 12:53 PM - 19 septembre 2023 Initiative de journalisme local
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© SEPAQ Crédit Photo : Mikaël Rondeau | PAN – Parc national d’Anticosti | ant_190812_0024.tif

Peu de temps après l’annonce de l’entrée officielle de son île chérie dans le giron du patrimoine mondial de l’UNESCO, l’ex-maire d’Anticosti John Pineault ne cachait pas sa joie. « Je suis extrêmement content et très fier en tant que Canadien, Québécois, Anticostien », lançait, visiblement ému, celui à qui on doit la genèse de l’initiative. Il n’était pas à Riyad pour recueillir les lauriers, mais peu lui en chaut.  

« Je suis tellement content d’avoir pu piloter un projet comme ça. Ça n’arrive qu’une fois dans ta vie ! »

Il a suivi en direct l’annonce à Riyad. « Le dossier a passé sans amendement, facilement. Ça vient prouver la solidité du dossier et la rigueur de toute l’équipe qui a travaillé dessus. Il y a tellement de gens qui ont mis de l’énergie là-dessus depuis 1996 ! »

John Pineault se souvient très bien des balbutiements de l’aventure.

« Ici, on a le privilège de vivre en autarcie ! On a de grandes journées en hiver, où les gens ont beaucoup de temps et on a une tendance à recevoir à la maison, à faire des soupers bien arrosés et à réinventer le monde. Les discussions revenaient toujours sur le fait qu’Anticosti est exceptionnelle et comment il faudrait faire un effort pour aller vers une reconnaissance de ça, pas seulement la géologie, mais l’Histoire, Menier, les cerfs, les naufrages… »

Heureux hasard, l’UNESCO a ouvert sa liste indicative pour les sites du patrimoine mondial à la même époque.

« C’était pendant la lutte contre le pétrole. C’était une chose dire non au pétrole, mais il fallait dire oui à quelque chose d’autre. Si on a déposé ce dossier, c’est qu’on croyait fermement à son importance et on voulait doter Anticosti d’un coffre d’outils pour la placer réellement où elle devait être. D’abord, un grand laboratoire, mais aussi un lieu de villégiature, de chasse, de pêche, etcétéra, et protéger ça pour l’avenir », dit-il.

John Pineault. Photo courtoisie

À l’époque, des appuis arrivent à point nommé, notamment celui du premier ministre Philippe Couillard.

« À la COP 23 à Paris, on avait questionné à Philippe Couillard sur Anticosti et l’exploitation pétrolière et il avait répondu “la destruction d’Anticosti ne portera pas ma signature”. J’ai failli tomber en bas de ma chaise. Là, j’ai vu qu’on avait un allié de taille ! »

Cet allié allait d’ailleurs délier les cordons de la bourse de l’État.

« Il fallait 121 millions $ pour racheter les claims des compagnies minières et ce n’est pas tout le Conseil du trésor qui était d’accord. Je lève mon chapeau à M. Couillard, ça a commencé là ! »

Il salue également la ministre de l’Environnement de l’époque, Isabelle Melançon, dont l’apport sera vraisemblablement passé sous silence. 

« J’étais allé voir Mme Melançon pour lui dire » on veut faire ça, ça va prendre des sous. Aidez-moi ! « Dix jours plus tard, j’avais un appel de son sous-ministre qui nous offrait 350 000 $, dans une période d’austérité… ce sont des gens dont on ne parlera pas beaucoup aujourd’hui, mais ils sont importants ! », insiste M. Pineault. 

Les coûts associés à une telle mise en candidature sont élevés, rappelle-t-il.

« Ça coûte à peu près 3 millions $ à monter, un dossier de candidature. Ce n’est pas facile, c’est exhaustif, normé ! Comme maire, je ne voulais pas que ce soit les contribuables qui soient obligés de payer. Le dossier s’est monté et ça n’a pas coûté une cenne noire aux contribuables d’Anticosti ! »

Il rappelle les nombreux dons, les subventions et surtout, les heures de travail abattues par de nombreuses personnes qui croyaient, comme lui, au projet.

« J’ai été extrêmement chanceux, j’ai su bien m’entourer. Mon ami Jean-Charles Piétacho, il a compris l’importance de ce dossier, il a embarqué avec nous, et les autres chefs aussi. C’est un travail collectif », dit celui qui ne cherche pas à cueillir les lauriers.

« J’arrive à 70 ans, je suis un homme comblé et très heureux et je n’ai pas besoin de ça. Les gens qui comptent dans ma vie savent ce que j’ai fait, je sais ce que j’ai fait. Je suis extrêmement fier, très content ! »

Inquiétude

Malgré sa fierté évidente, il ne cache pas une certaine inquiétude.

« Aujourd’hui, on a ce coffre d’outils, c’est fait, mais c’est comme planter un chêne. On plante un chêne pour les générations qui vont venir et on espère qu’elles vont savoir bien s’en occuper, le tailler… j’ai un peu de crainte, un peu comme un parent qui voit son bébé venir au monde et qui espère qu’il va être en santé ! »

La représentativité au sein de l’équipe qui sera mandatée pour la suite des choses est importante, selon le maire. 

« On avait proposé au gouvernement, qui avait accepté la mise en place d’un OBNL qui serait une société de gestion paritaire avec les gens des Premières Nations, de la MRC, des élus d’ici, des citoyens… À ma connaissance, ça ne s’est pas fait encore. On a la reconnaissance, c’est extraordinaire, mais ce n’est pas une fin, c’est un début. Maintenant le travail commence ! C’est la grosse nouvelle aujourd’hui, mais dans un an, ce sera complètement oublié… »

Plusieurs enjeux importants demeurent, notamment l’accessibilité, l’eau potable, l’accès à la propriété… « On voulait devenir patrimoine mondial pour protéger l’île, oui, mais aussi pour créer un milieu intéressant de travail pour nos jeunes qui voudraient revenir s’installer », résume M. Pineault.

Il faudra également préparer l’île à un afflux de visiteurs, estime-t-il. « Ce serait le temps que tous les partenaires s’assoient ensemble. C’est sérieux, on va avoir une demande épouvantable ! Je donne toujours l’exemple des iles Galapagos, très difficiles d’accès. Depuis qu’elles sont patrimoine mondial, on a dû limiter le nombre de touristes à 250 000. J’ai toujours milité pour la protection de l’île, contre les pétrolières, par exemple, mais je pense qu’il ne faut pas la mettre sous une cloche de verre. Elle doit être accessible à M. et Mme Tout-le-Monde. L’île appartient au Québécois, mais maintenant, elle appartient aussi au monde entier ! »

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