Vers la fin de la crevette nordique dans nos assiettes ?

Par Emy-Jane Déry 4:58 PM - 8 novembre 2023
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Crevettes nordiques. Photo Facebook, Poissonnerie Fortier

La crevette nordique dans nos assiettes pourrait devenir chose du passé, dans un avenir pas si lointain. Les plus récentes données scientifiques tendent à confirmer que les quotas de pêche de l’espèce seront catastrophiques pour la prochaine saison, ce qui laisse croire que pour survivre, l’industrie devra se transformer, ou carrément se réorienter. 

La pêche à la crevette est en péril dans le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent. Le réchauffement de l’eau et la prédation du sébaste y sont principalement responsables du déclin des stocks de crevettes. 

Les pêcheurs, usines de transformation et les scientifiques s’en doutent depuis un moment. La ministre des Pêches, Océans et Garde côtière canadienne, Diane Lebouthillier prévoit annoncer un plan de match en janvier. 

Or, la semaine dernière, le comité consultatif sur la crevette était réuni à Québec. Les acteurs de l’industrie ont pu faire le point, suite à l’analyse des données de la dernière saison obtenues en août. 

En 2015, un pêcheur qui prenait la mer pour quatre ou cinq jours revenait avec à son bord environ 70 000 livres de crevette. En 2022, le même voyage a permis une récolte de 36 000 livres et en 2023, de 25 000 livres. 

C’est le portrait approximatif que dresse l’Office des pêcheurs de crevette du Québec, pour illustrer le crash de l’industrie. 

Ça ne vaudra pas la peine de mettre les bateaux à l’eau.

Patrice Element

« Ça ne vaudra pas la peine de mettre les bateaux à l’eau », a résumé Patrice Element, directeur de l’Office. 

C’est que comme le scénario se dessine actuellement, juste les coûts de mise à l’eau du bateau seront supérieurs à ce que les quotas pourraient permettre aux pêcheurs de faire comme profits. Est-ce que cela signifie que nous devrons faire une croix sur les crevettes nordiques dans nos assiettes ? 

« Éventuellement, ça pourrait arriver », a répondu M. Element. « Avec tout ce qui se passe présentement, je ne peux pas affirmer hors de tout doute raisonnable qu’il n’y aura personne qui va pêcher et transformer l’année prochaine, mais autant au niveau des pêcheurs que des transformateurs, à ces volumes-là (voir tableau), il va y avoir des décisions à prendre. » 

Adaptation

Il y a tout un mode de vie et une communauté qui dépend de la pêche à la crevette, rappelle le directeur de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec.

« Au-delà de ce que les gens de l’extérieur vont mettre dans leur assiette, s’il n’y a pas de pêche à la crevette, juste à Rivière-au-Renard, ce sont 450 personnes qui vont perdre leur job », a rappelé Patrice Element. 

Il croit que l’industrie devra s’adapter, mais qu’elle aura besoin du soutien des gouvernements pour y parvenir. Le directeur de l’Office pense par exemple à de petits quotas de crevettes nordiques combinés à l’ouverture de la pêche au sébaste qui pourrait venir occuper le marché. 

« Mais, une transformation du marché comme ça, ça ne se fera pas du jour au lendemain », a-t-il souligné. 

Il faudrait adapter les bateaux et les usines et développer les marchés pour la vente. 

« Pendant les trois à cinq années que ça pourrait prendre, il faudrait mettre en place des mesures d’aide. »

Conclusions claires 

La ministre des Pêches, Océans et Garde côtière canadienne, Diane Lebouthillier, a elle aussi pris connaissance du plus récent avis scientifique sur l’état des stocks de crevettes la semaine dernière. 

« Les conclusions sont claires et préoccupantes : trois des quatre stocks de crevettes de la région se situent présentement dans la zone critique, et seulement 38 % du quota total a été pêché cette année », a-t-elle affirmé par courriel au Nord-Côtier. « Bien que le constat ne surprenne personne, il permet de mettre des chiffres sur la situation actuelle et, surtout, de passer aux prochaines étapes. »

D’ici décembre, Pêches et Océans Canada finalisera l’analyse de toutes les données scientifiques, des commentaires de l’industrie et des impacts économiques des différents scénarios, avant de déposer une recommandation à la ministre. Cette dernière entend se prononcer au retour des Fêtes. 

La ministre Lebouthillier se dit consciente que les changements climatiques et le réchauffement des océans amènent et continueront d’entraîner leur lot de bouleversements au cours des prochaines années. 

« C’est pourquoi, plus que jamais, il sera important de s’armer de créativité, de résilience et de faire preuve d’agilité, que ce soit en ajustant nos pêcheries actuelles ou en se tournant vers de nouvelles », constate-t-elle. « Je sais que ce ne sera pas toujours facile, mais en mettant tous ensemble l’épaule à la roue, je sais qu’on pourra non seulement passer au travers, mais également assurer l’avenir de la crevette dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. »

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