Il y a 75 ans, le Rivière Portneuf est mis à l’eau

Par Journal Haute Côte Nord 19 avril 2016
Temps de lecture :

Portneuf-sur-Mer – Tous les Portneuvois, même ceux nés après les années 1960, connaissent le navire Rivière Portneuf. Tellement représentatif d’une époque, que son existence occultera tous les autres navires ayant Portneuf comme port d’attache. C’était, la semaine dernière, le 75e anniversaire de la mise à l’eau de ce symbole portneuvois. En cette occasion, je crois qu’il est grand temps de démystifier, une fois pour toutes, l’histoire de ce navire afin de corriger les fausses informations circulant sur son destin.

Collaboration spéciale Nataly Brisson

Sainte-Anne-de-Portneuf, 13 avril 1941, à la grande messe du dimanche de Pâques, le curé Médéric Bouchard vient de terminer son sermon dominical. Lors du prône, il annonce, de sa voix bourrue : « Vous êtes tous invités à la bénédiction du nouveau bateau de Lucien Tremblay, à 3 heures! » Le curé Bouchard doit bien laisser pointer un brin de fierté dans cette invitation, car son paroissien, un entrepreneur connu, a choisi de donner le nom du village à son navire. Une belle goélette de près de 88 par 26 pieds, jaugeant 150 tonneaux qui pavanera Rivière Portneuf  sur sa proue, la consécration pour un village maritime. La nouvelle, publiée dans le journal L’Action Catholique du 18 suivant, précise que la goélette sera mue par un moteur Diézel (sic!) et mesure 107 pieds de longueur!  La bénédiction du curé Bouchard lui ayant fort probablement ajouté un bon 30 pieds.

Un village, une goélette

Né sur la batture, derrière le commerce de Lucien. Plusieurs Portneuvois auront participé à sa construction. C’est au Chantier Maritime St-Laurent de L’Île d’Orléans que seront complétés la mécanique et les instruments de navigation.

La région est en pleine prospérité, le commerce du bois, en progression constante. Pour un commerçant de l’envergure de Lucien Tremblay, l’équation est simple. Il utilise son navire afin de sortir le bois de la région et au retour, il ramène de la marchandise. Ainsi, il approvisionne son magasin général et les commerces voisins, et les voisins, à l’époque, c’est toute la Côte-Nord. La goélette cabotait donc jusqu’à Sept-Îles où elle déchargeait ses produits dont le fameux lait Carnation. Lucien Tremblay en avait l’exclusivité dans la région, paraît-il.

On dénombrera plusieurs capitaines s’étant succédé à la roue du navire : René Tremblay, Freddy Caron, Freddy Hovington, Arthur Marquis, Berchmans Desbiens. L’équipage, composé de gens de la région, verra défiler les Therrien, Dallaire, Tremblay, bref, des noms connus dans le domaine maritime. On note aussi une présence féminine à bord, comme cuisinière, évidemment. Un nombre incalculable de jeunes gens disent avoir contribué à charger la goélette de bois de pulpe. Travail qui n’était pas sans risque, car en juin 1943, lors du chargement, un dénommé Bouchard (dit Dufour) de Sacré-Cœur, frappé par une pitoune, meurt noyé au quai du village.

L’année 1967, l’année de la malchance pour Lucien Tremblay. À la fin de l’hiver, un incendie ravage sa propriété. Suite à la destruction de son commerce, il se départit du Rivière Portneuf au profit de Benoît Imbault de St-Siméon. Le navire conservera son nom pendant quelques mois. En octobre 1967, lors d’un voyage sur le Saguenay, l’avarie se produit. Le second s’endort à la roue et la goélette frappe dans un cran. C’est la fin de l’histoire du Rivière Portneuf.

La suite de l’histoire

Suite à cette mésaventure le navire est revendu à Rémi Gagnon de La Malbaie. Il le renomme du nom de son fils, Éric G. En 1969, réparé, le caboteur reprend sa frénétique course sur le fleuve, à transporter du bois de pulpe pendant une dizaine d’année. Cependant, les routes d’autrefois s’améliorent, les fardiers deviennent les maîtres du transport des marchandises. Les goélettes du St-Laurent sont à l’agonie. Laissé à l’abandon, notre Rivière Portneuf passe ses journées au quai Casgrain, à La Malbaie, à jaser d’autrefois avec un autre retraité, le St-André.

À la fin des années 1970, s’enclenche un vaste mouvement pour la sauvegarde du patrimoine maritime québécois. La région de Charlevoix s’éveille, il en résultera le Musée maritime de St-Joseph de la Rive. L’ami du Rivière Portneuf, le St-André en sera la pièce maîtresse. Vers 1983, le Rivière Portneuf subira un tout autre sort, sa dernière vocation : Galerie d’art, sous le nom de Goéland Bleu, probablement pour le consoler d’avoir servi de panneau publicitaire pendant plus de cinq ans. Il pourra enfin en voir de toutes les couleurs, comme au beau temps du cabotage. Cependant, il y a tout un monde entre le rêve et la réalité, le projet ne se concrétisera pas réellement. De nouveau abandonné à lui-même, devenu dangereux, il sera remorqué et brulé au large.

Triste fin? Alors qu’elle était accostée de La Malbaie, la goélette recevait, régulièrement, la visite de Portneuvois nostalgiques. Ils y voyaient le Rivière Portneuf, son nom, sculpté dans sa coque, aura gommé tous les autres. Des années plus tard, ils seront toujours convaincus qu’aucun autre nom n’a paré le navire et demeurera, éternellement, la fierté d’un village. Loin d’être triste, il s’agit sans doute d’une histoire sans fin…

Partager cet article