Une mésaventure inoubliable pour Daniel Jean

Par Shirley Kennedy 22 mars 2017
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Portneuf-sur-Mer – Lorsqu’il a pris le départ de St-Félicien en direction de Portneuf-sur-Mer le samedi 4 mars dernier, Daniel Jean était loin de se douter que son expédition en motoneige qu’il planifiait religieusement depuis plusieurs semaines, allait virer au cauchemar. Son bolide enlisé, seul par un froid polaire de -40 degrés celsius, il a attendu 9 heures avant d’être secouru.

Originaire de Portneuf-sur-Mer et résident à Sherbrooke depuis près de 30 ans, Daniel Jean pratique la motoneige depuis une trentaine d’années. La plupart du temps, c’est en solo qu’il emprunte les sentiers. « On dit qu’il ne faut jamais partir seul mais j’ai toujours fait ça la plupart du temps. Je suis un maniaque. Ça fait un mois que je prépare ce voyage-là. J’étais au Nouveau-Brunswick et je savais que d’une semaine à l’autre j’allais être transféré à St-Félicien. J’avais hâte de faire cette ride-là ».

Cette randonnée de 330 kilomètres, c’est de la petite bière pour Daniel qui peut parfois engloutir près de 700 kilomètres quotidiennement aux commandes de son Yamaha Viper R-TX. « Une motoneige qui est parfaite pour Sherbrooke et les environs, parce qu’il n’y a pas de neige en comparaison avec la Côte-Nord et aussi parce que si on est pris ou en panne, il y a des villages à tous les 20 kilomètres environ. Je pars de Sherbrooke et je vais virer à St-Georges de Beauce, assez souvent à chaque hiver ».

La veille de son départ, Daniel publie son itinéraire sur la page Facebook de . Cela lui a probablement sauvé la vie, puisque c’est à partir de cette information que son beau-frère Patrice Émond et le beau-frère de ce dernier Gino Martel, partiront à sa recherche le soir-même. « Je suis un pitonneux alors en plus d’avoir écrit mon itinéraire sur , je me suis rapporté sur Facebook. J’ai publié un statut et une photo au Valinouët et une autre fois à la chapelle après avoir dîné ».

Mauvaises conditions

Donc photo à l’appui, vers 13 h Daniel annonce sur sa page Facebook qu’il part en direction de Portneuf-sur-Mer où il espère arriver vers 16 h chez sa mère Lauréanne Jean. Il prévoit souper au domicile familial et rentrer le lendemain à St-Félicien pour reprendre son job de contremaître pour Canadian Stebbins.

Quelques kilomètres plus loin, la visibilité est réduite, quasi-nulle par endroits et il y a de bonnes lames de neige qui le détournent du sentier. « Je ne voulais pas déroger de mon itinéraire. Et je ne voulais pas faire le touriste dans les Monts Vallins. J’ai pensé rebrousser chemin et j’ai pogné un bout où il ventait beaucoup. Il y avait des lames de neige. J’ai embarqué dessus croyant que c’était le sentier mais c’était le fossé. Ça écrasé et je me suis retrouvé enlisé complètement ». Il est environ 14 h 30.

Une nuit à la belle étoile

Daniel constate rapidement que les patins de son engin sont coincés sous une couche de glace. Conscient que sa motoneige est assez lourde, il se rend vite à l’évidence qu’il devra probablement passer la nuit à la belle étoile par – 40 degrés celsius. Pendant une heure, il essaie de dégager sa motoneige à l’aide d’une pancarte de sentier qui lui sert de pelle.

« J’ai préparé ma nuit. J’ai réuni des branches, des bouts d’arbres, et je me suis installé au milieu de la trail. Mais il ventait trop fort. Je me suis trouvé un coin près des arbres et j’ai allumé mon feu ». Daniel épuise son allume-feu, un bout de corde imbibée d’essence et même ses petites culottes – « bobettes pleines de trous »- pour allumer le feu. Malheureusement, la qualité du bois ne permet pas à Daniel d’obtenir un bon feu de camp. « Je le repartais à toutes les demi-heures. Quand ce n’est pas le vent qui changeait de direction et qui éteignait le feu ».

De temps à autre, Daniel démarre sa motoneige et se réchauffe les mains à l’aide des poignées chauffantes. « Pendant neuf heures de temps, j’ai toujours gardé mon casque sur ma tête ».

Reconnu pour avoir de la suite dans les idées, Daniel s’improvise un tambour avec un morceau de bois et son réservoir d’essence pour éloigner les ours et lorgne un arbre à grimper en cas d’apparition de loups. « Je sais pas si ça grimpe dans les arbres un loup mais je me suis dit si y en arrive un, moi je grimpe-là », raconte-t-il à la blague.

Seul à savoir réellement ce qui se passe, Daniel se ronge les sangs pour sa famille qui, il le sait, lancera les recherches à la tombée du jour. À 17 h, sa mère s’inquiète, il n’est toujours pas arrivé. Cette dernière communique avec la conjointe de Daniel, Danie Émond, qui procédera à quelques vérifications avant d’alerter la Sûreté du Québec et son frère Patrice vers 19 h.

« Il ne faut pas que tu dormes »

« Le défi pendant que j’attendais, c’était de ne pas dormir. Parfois je m’assoupissais mais je me levais et je marchais 25 pieds d’un côté, 20 pieds de l’autre. Je faisais virer mon ski-doo pour pas qu’il gèle et je regardais l’heure. Mais à un moment donné, t’es tout seul, y fait -40, veux veux-pas t’entends des voix pis t’entends des sons ».

Bien que Daniel assure qu’il est toujours resté en contrôle tout le long de ces interminables heures, Patrice Émond confirme qu’il « était temps qu’on arrive », lorsqu’ils le localisent enfin vers 23 h 15. « Le feu était mort, il n’avait plus de carburant et l’hypothermie commençait à s’installer », raconte son beau-frère. Daniel se trouve alors à 60 kilomètres de la chapelle et à 90 kilomètres du relais du Club les Bouleaux Blancs, un secteur désigné comme le Désert des vents.

Exténués puisqu’ils ont effectué le trajet Forestville-Les Escoumins aller-retour plus tôt dans la journée avant de se porter au secours de Daniel, Patrice Émond et Gino Martel repartent immédiatement en direction de l’Auberge des 31. « L’Auberge était barrée, nous avons réussi à se faire ouvrir. On a installé Daniel dans un lit et monté le chauffage au maximum. Il était gelé».

La Sûreté du Québec qui s’était rendue à l’Auberge un peu plus tôt en soirée, a été contactée afin qu’on cesse les recherches qui devaient reprendre au lever du jour.

Ce n’est que le lendemain que l’équipée s’est rendue sur les lieux du « naufrage » pour récupérer la motoneige de Daniel. Il a fallu deux heures et un solide coup de main de deux motoneigistes de Québec pour réussir à sortir la motoneige du rescapé de sa mauvaise posture.

Même s’il était de retour au travail dès le lundi matin, Daniel a mis quelques jours pour rassembler ses idées et réaliser ce qui lui est arrivé. Dix jours plus tard, il prévoyait retourner sur les sentiers « mais accompagné cette-fois ». Il entend se procurer un SPOT, un dispositif de messagerie GPS par satellite afin de pouvoir faire de la motoneige de façon plus sécuritaire.

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