Parti pour la dernière danse

Par Shirley Kennedy 11:00 AM - 3 juin 2020
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Malgré les épreuves qu’il a traversées, monsieur Médéril a eu une belle vie. Aimé et entouré de sa famille, il était respecté dans son village natal qu’il n’aurait jamais voulu quitter. Bien sûr, les soucis et inquiétudes dévolues au chef de famille ont certes causé quelques nuits blanches, mais il a su faire face aux intempéries de la vie avec un flegme exemplaire.

Homme simple et de peu de mots, il avait ce don de mettre les gens en confiance, par son irrésistible sourire, appuyé de ce magnifique regard bleu comme le ciel.

Force tranquille, il possédait une foi inébranlable. Avec sa famille, c’est ce qui l’a nourri au cours de ses 94 années de vie.

Il serait hasardeux de chiffrer le nombre d’offices et de célébrations auxquelles ce fervent catholique a assisté, du 5e banc de la rangée de droite de sa très chère église Sainte-Anne de Portneuf.

Profondément croyant, il vouait un attachement particulier à la Bonne Sainte Anne et au mois de Marie.

Le 5 mai, monsieur Médéril est parti. Dans ce chaos inexplicable de confinement et d’interdiction de visites, sa famille a vécu ce que beaucoup d’autres ont connu au cours des deux derniers mois : une séparation déchirante, défiant toute logique, au-delà de l’inexplicable.

Un départ difficile pour ses enfants, dont la douleur fut exacerbée par des aurevoirs précipités, et l’impossibilité de service funèbre, pour cet homme qui a tant prié pour les autres.

L’impuissance devant la détresse d’un père, d’une mère, d’un grand-parent, qui bien souvent ne comprend pas ce qui se passe…et qui finit par mourir d’ennui.

Néanmoins, c’est avec courage et sérénité qu’il est parti, comme en témoigne sa cadette Jacinthe, qui a eu le privilège de l’accompagner lorsqu’il a rendu son dernier souffle.

Retour en arrière

Ébranlé par la perte de son épouse en 1997, monsieur Médéril a traversé sa peine bravement, s’impliquant dans les mille et un chantiers des siens, toujours là.
Réconfortant de sa seule présence, rassurant de son regard azur, petits et grands, jeunes et moins jeunes.

Lorsqu’il a perdu subitement son fils Jacques en 2010, sa foi a été mise à rude épreuve. On ne devrait pas survivre à son enfant, dit-on, peu importe son âge. Il a crié à l’injustice. Mais il est resté droit comme un chêne.

Son désir de rester actif, sa soif d’autonomie, auront suscité l’admiration de tous.
Plusieurs se souviendront longtemps de lui, filant sur sa bicyclette, fringant comme un jeune premier, à l’aube de ses 90 ans.

« Il a marqué sa communauté par son courage à faire face aux épreuves et son sens du bien commun. Malgré son grand âge, il assistait encore aux célébrations quelques semaines avant la pandémie. J’ai beaucoup d’admiration pour lui », raconte monsieur le curé Irénée Girard.

Bel homme au charisme certain, Médéril fut courtisé galamment, mais ne s’en est jamais enorgueilli. C’est au bras de madame Lauretta qu’il a écoulé ses dernières années, tout doucement.

Avant que la maladie ne s’invite et ne vienne assombrir le solarium de la rue Principale d’une solitude non désirée.

Cet homme qui a tenu le volant la majeure partie de sa vie, « a trouvé ça dur de le lâcher », dira monsieur le curé.

Les derniers mois de monsieur Médéril sont représentatifs de la réalité de plusieurs familles. Les mesures sanitaires ont permis de freiner la pandémie mais elles auront eu un coût social et humain qu’il est impossible à ce jour d’estimer.

Des dommages collatéraux profonds et douloureux à jamais gravés dans l’esprit des proches aidants et des familles.

Monsieur Médéril est parti. Il ne souffre plus de l’absence des siens, ceux qui l’ont tant aimé. Il s’en est allé rejoindre sa Rolande, pour une dernière danse.

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