Boisaco menacée par le Plan caribou

Par Shirley Kennedy 12:00 PM - 27 avril 2021
Temps de lecture :

Les dirigeants de Boisaco sont convaincus que le Plan caribou du MFFP sera néfaste pour l’entreprise. Photo : Courtoisie

D’ici quelques semaines, le ministre Pierre Dufour, se prononcera sur le Plan caribou, partie prenante et enjeu majeur du Plan d’aménagement forestier intégré opérationnel (PAFIO) 2023-2028 préparé par son ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs. Ayant fait l’objet au préalable d’un processus de consultation auprès des différents intervenants du milieu (élus, communautés autochtones et industriels) via les groupes opérationnels régionaux, le Plan caribou s’il est appliqué tel quel, pourrait entraîner des pertes financières de quelque 20 M$ et environ 75 mises à pieds pour Boisaco.

« À terme, c’est la survie de l’entreprise forestière qui est menacée », lance André Gilbert, directeur général chez Boisaco.

Selon l’information qui circule dans les couloirs des organismes gouvernementaux, rien ne laisse présager que la machine gouvernementale offrira des mesures alternatives pour l’industrie.

Pour Boisaco, le Plan caribou c’est une perte d’approvisionnement de 100 000 m3, l’équivalent de 20 % de son approvisionnement annuel de 575 000 m3, garantissant le plein emploi à ses travailleurs.

Les rencontres des groupes opérationnels régionaux créés par le gouvernement se sont terminées en queue de poisson malgré le sérieux de la démarche et la rigueur avec laquelle la plupart des intervenants se sont impliqués dans le processus.

« Ils nous ont dit : faites-nous des propositions pour qu’il y ait le moins d’impacts possibles. Nous avons eu des échanges de septembre 2019 à mai 2020. On devait reprendre en septembre 2020 après une pause estivale mais finalement ça n’a jamais repris. Ils nous ont dit que c’était à cause de la COVID. Dommage nous étions rendus au niveau des impacts économiques. Finalement, ça été dans le sens inverse que le ministre voulait que ça aille, puisque les groupes innus ont plutôt ajouté des préoccupations supplémentaires et ce n’était pas le but de l’exercice », explique Steeve St-Gelais.

Les dirigeants de Boisaco ont alors convenu qu’ils devaient agir. Ils viennent d’amorcer une offensive auprès des élus et des communautés autochtones, réclamant des appuis à leur proposition de développement durable, soit celle d’intégrer la science, adapter les méthodes, « être évolutifs puisque le climat fera en sorte qu’il faut s’ajuster », résume M. Gilbert.

D’autant plus que le plan d’aménagement forestier intégré opérationnel (PAFIO) 2023-2028 laisse entrevoir que les volumes disponibles seront de plus en plus dispersés et soumis à de multiples contraintes. Boisaco devra travailler plus fort que jamais pour maintenir ses volumes d’approvisionnement et sa rentabilité.

André Gilbert, directeur général chez Boisaco. Photo : Courtoisie

André Gilbert, directeur général chez Boisaco. Photo : Courtoisie


Un groupe fragilisé

En entrevue au Journal Haute-Côte-Nord, messieurs Gilbert et St-Gelais préviennent que toutes les entreprises du Groupe subiront les contrecoups des difficultés d’approvisionnement occasionnées par le Plan caribou. La réduction de la récolte se traduira par une baisse radicale des activités, du chiffre d’affaires, des retombées socio-économiques et des emplois.

« Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que d’après une analyse interne effectuée sur les sept dernières années, la rentabilité financière chutera de 72 %, un recul sévère qui fragilisera l’ensemble du Groupe.

Bien que Boisaco soit une entreprise rentable et solidement implantée dans son milieu, sa situation demeure précaire pour plusieurs raisons. Une réduction radicale de son territoire de récolte risque de lui porter un coup fatal.

Le coût moyen de ses approvisionnements est l’un des plus élevés dans la province, ce qui s’explique par les multiples contraintes de la Côte-Nord et l’éloignement des marchés.

Selon M. St-Gelais, les grands massifs de forêt mature sont inexistants sur le territoire, ce qui a une incidence sur la dispersion de la récolte et les coûts.

« La topographie est accidentée. La configuration du territoire est défavorable en raison de l’axe nord-sud des principaux cours d’eau et des barrières naturelles que sont la rivière Saguenay et le fleuve St-Laurent. Si l’industrie forestière disparaît, les chemins d’accès se détérioreront et les populations et communautés autochtones n’auront plus accès au territoire. Nous allons dans la mauvaise direction. Le climat évolue à vitesse grand V. C’est un enjeu de population, un enjeu de communauté. S’ils appliquent ce plan-là, ce sera la catastrophe. Nous sommes en mode urgence. Il y a moyen de diminuer les impacts sur le caribou sans tuer le tissu socio-économique de la Côte-Nord. Nous dépendons tous de la forêt », conclut Steeve St-Gelais.

Données probantes

Selon une étude de PwC d’octobre 2020, le Groupe Boisaco génère des retombées économiques directes, indirectes et induites évaluées à plus de 100 millions de dollars, ceci en supposant des retombées économiques de 153 dollars par mètre cube produit.

Avec un chiffre d’affaires annuel de 180 M$, Boisaco génère 600 emplois directs. À titre d’exemple, 30 % des recettes fiscales du village de Sacré-Cœur proviennent des activités forestières sur son territoire.

De plus, la part des emplois rattachés au secteur forestier s’établissait à 10,1% en 2015 en Haute-Côte-Nord. Lorsque cette part est supérieure à 10 %, le secteur est considéré comme occupant une place significative.

À titre comparatif, la part des emplois rattachés au secteur forestier selon les MRC, est de 4,2 % en Manicouagan, 0,9 % dans la MRC des Sept-Rivières et 2,9 % pour l’ensemble de la Côte-Nord. Source Boisaco.

Steeve St-Gelais, président de Boisaco. Photo : Courtoisie

Steeve St-Gelais, président de Boisaco. Photo : Courtoisie


Le principe de la cloche de verre

L’approche préconisée dans le cadre du Plan caribou, le président de Boisaco la compare au principe de la cloche de verre. « Fermer le territoire complètement, on n’est pas à l’aise avec ça. Ce n’est pas la bonne manière de répondre aux préoccupations puisque les forêts en question vont devenir très vulnérables aux feux, aux épidémies et différents éléments qui vont faire que de toute manière, ce ne sera pas un bon environnement pour le caribou », affirme Steeve St-Gelais.

L’enjeu au centre des discussions, c’est le réservoir Pipmuacan où une grande population de caribous y est recensée, celle qui se trouve le plus au sud du Québec et où l’impact est le plus important.


D’après André Gilbert, les principes établis par le fédéral et repris par le provincial, calculent le taux de perturbation selon les chemins, les coupes de bois récentes et moins récentes sur le territoire.

« À partir de ce calcul-là, un seuil de 35 % est déterminé. Ce qui signifie que sur une superficie de 5 700 km2 de territoire, on ne peut rien faire tant que le taux de perturbation est supérieur à 35 %. En ce qui nous concerne, ça va prendre entre 70 et 80 ans pour descendre sous le seuil de 35 % ».


Les prétentions des dirigeants de Boisaco se basent sur les prédictions de réchauffement climatique qui mentionnent que dans 20 ans, le site du réservoir Pipmuacan atteindra les 25 degrés.

« Le caribou sera en choc thermique. Il est prouvé que les populations de caribous et de chevreuils montent de 45 km par décennie. Le caribou préfère les milieux ouverts et les forêts peu denses. D’autant plus que 70 % du milieu fréquenté par les caribous n’est pas une forêt exploitable. Geler des forêts exploitables, c’est une contradiction et ça amène un paquet de questionnements. Nous croyons qu’il serait préférable de prendre des mesures agiles, issues de la science, travailler sur les populations de loups, principal prédateur du caribou » rétorque André Gilbert.

La famille Boisaco estime qu’il n’y a pas de certitude mais qu’il y a encore beaucoup de connaissances à aller chercher et développer.

« Nous croyons que ça passe par un esprit de développement durable. Nous sommes dans cette volonté-là », de dire Steeve St-Gelais.

À juste titre, un coupe partielle irrégulière par trouées agrandies (CPI_TA) a été effectuée en 2014 dans un secteur qui avait déjà fait l’objet d’une éclaircie commerciale quelques années auparavant.

Le Groupe Forestra, en collaboration avec Boisaco et Essipit, ont fait la récolte en 2014 selon un patron de coupe expérimental (CPI_TA) destiné à maintenir des attributs de forêts favorables au caribou.

« Produits Forestiers Résolus avait fait l’éclaircie commerciale au départ mais ce n’était pas dans un cadre d’aménagement caribou à ce que je sache. Environ 50% du volume de bois a été prélevé au total. C’est le MFFP qui a fait le suivi des interventions. Curieusement, aucun chercheur ne s’est intéressé à cette expérience à ma connaissance », relate André Gilbert.

« Pourtant il y a là, dit-il, une démonstration très prometteuse d’un aménagement forestier favorable à l’habitat du caribou pour autant que nous travaillions à contrôler les autres facteurs comme la prédation par le loup et le dérangement entre autres. »

La démarche de sensibilisation amorcée par Boisaco a pour objectif de s’allier les différents intervenants pour trouver une solution de développement durable.

« Nous avons la capacité de développer et concilier ensemble les préoccupations de manière évolutive et intégrée. Dans notre région, le plan n’est pas adapté à la réalité. Il n’intègre pas l’ensemble des enjeux. Il y a 15 ans il y avait trois usines pour le résineux. Aujourd’hui, il n’y a même pas l’équivalent d’une usine. Nous devons compléter avec une usine du Saguenay », relate M. St-Gelais.

Partager cet article