Les animaux au cœur du brasier

Par Émélie Bernier 12:00 PM - 5 juillet 2023 Initiative de journalisme local
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Les orignaux bénéficieront de la jeune végétation qui suivra le passage d’un feu. Photo Istock

D’aucuns se souviendront des images apocalyptiques des grands feux qui ont décimé l’Australie en 2019-2020 et où plus d’un milliard d’animaux auraient péri, selon des estimations prudentes. Plus près de chez nous, orignaux, cerfs de Virginie, caribous, castors, oiseaux et autres petits rongeurs font à leur tour face, chacun à sa façon, au brasier.

Peu de données quantitatives existent quant au taux de survie des animaux dont l’habitat est affecté par un feu de forêt.

« On a beaucoup étudié les impacts potentiels des feux sur l’habitat et sur différentes facettes de l’écologie des animaux, mais on a rarement monitoré ce qui se passe véritablement pendant un feu. Les gens aimeraient savoir ce qu’il advient des animaux, mais on n’a pas toujours ce niveau d’information là selon les espèces avec lesquelles on travaille », indique Martin-Hugues St-Laurent, professeur titulaire en écologie animale à l’Université du Québec à Rimouski et spécialiste des grands mammifères.

Il est toutefois réaliste. « Oui, il y en a qui vont mourir parce qu’un feu les a encerclés, mais certains vont se déplacer à temps… » 

Certaines espèces s’en tireront mieux que d’autres. « Les plus grands animaux ont plus de chance de s’en sortir parce qu’ils ont davantage de mobilité. Les oiseaux aussi, mais à ce temps-ci de l’année, il y a des nids. Les jeunes au nid qui ne sont pas capables de voler et les œufs non éclos vont périr davantage. Et c’est certain qu’une espèce terrestre qui ne vole pas et n’a pas beaucoup de capacité de déplacement va être pénalisée par rapport à une autre », résume M. St-Laurent. 

Les animaux aquatiques comme le castor, par exemple, ont également un bon pronostic de survie. Idem pour les animaux dits fouisseurs, qui pourraient trouver refuge sous la terre. « On n’a pas une recette pour tout le monde. Chaque animal a ses défis, ses faiblesses et ses forces mis face à face avec un mur de feu. »

Le chercheur rappelle que les feux ne datent pas d’hier sur la grande ligne du temps. « Il ne faut pas oublier une chose : la faune a co-évolué depuis longtemps avec les feux en forêt boréale comme agent de réinitialisation des peuplements. Depuis des millénaires et certainement depuis la dernière glaciation, ces animaux sont capables de vivre avec les feux à l’échelle des paysages. Il ne faut pas surdramatiser ce qui se passe. Ceci étant dit, c’est sûr et certain que des animaux vont périr dans des situations de ce type-là », analyse-t-il.

Certaines espèces, dont les grands mammifères, connaîtront même une hausse d’abondance dans les années suivant un épisode de feu. « Toutes les espèces herbivores vont bénéficier de cette manne alimentaire importante et améliorer leur condition physique, leur survie individuelle, leur indice reproducteur, la survie de leurs jeunes et donc augmenter en abondance », explique Martin-Hugues St-Laurent. 

Bonne nouvelle pour les chasseurs, « en termes de qualité d’habitat, pour l’orignal et le cerf de Virginie, ça ne peut qu’améliorer ce dont ils ont besoin. »

Le caribou ne sera pas l’espèce la plus avantagée cependant. « L’enjeu, c’est que ce n’est pas toutes les espèces qui ont la même capacité reproductrice, donc une espèce va augmenter plus rapidement qu’une autre », explique-t-il.

Les cerfs de Virginie et les orignaux, par exemple, produiront plus d’un faon par année, soit 1 à 3 dans le cas du cerf et 1 à 2 dans le cas de l’orignal.

« Le caribou, de son côté, n’a pas cette capacité. Il produit de 0 à 1 jeune par an. Le problème, c’est qu’il devra partager les ressources alimentaires et les habitats utilisés avec d’autres animaux (cerfs et orignaux) qui vont augmenter plus rapidement en abondance et qui entraîneront avec eux une hausse du nombre de prédateurs qui eux, finalement, pourraient appliquer une pression de prédation plus grande sur le caribou », résume le chercheur.

Fort heureusement, les feux de 2023 semblent éviter le cœur des massifs où évoluent les principales hardes de caribous de la province.  

« Dans son comportement, le caribou s’isole spatialement de l’orignal et du cerf parce que ces animaux-là vont monopoliser les jeunes habitats nourriciers. Si le caribou reste dans les secteurs coupés, il cohabitera avec les compétiteurs (orignal et cerf), mais également avec leurs prédateurs comme le loup, le coyote et l’ours. C’est la même chose qu’avec la coupe forestière. On est dans un cas de figure où, que ce soit les coupes ou les feux, on va rajeunir la forêt et ça va déstabiliser l’équilibre entre certaines espèces associées aux vieilles forêts, comme le caribou, et les espèces associées aux jeunes forêts, comme le cerf et l’orignal. »

Le bon côté de la médaille

Les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises. «Quand on brûle des grandes superficies de forêts, c’est bénéfique pour certaines espèces. Le pic à dos noir va profiter des insectes qui s’installent dans les arbres brulés et qui sont une super source alimentaire. Ces animaux-là ont la capacité de suivre d’assez loin ces feux et d’en tirer profit », cite-t-il à titre d’exemple.

Black woodpecker (Dryocopus martius) in a dead spruce tree

La régénération de la forêt est également intéressante, biologiquement parlant. « Plusieurs espèces vont bénéficier de la végétation post-feu. Surtout composée de feuillus dans les jeunes stades, la régénération va être physiquement accessible pour les animaux qui ne montent pas aux arbres, facile à digérer parce qu’elle est pauvre en tannins et en lignine, et abondante.  Donc tous les herbivores vont en tirer profit, même le caribou! »

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