Places en garderie sur la Côte-Nord : des « calculs d’actuaires »

Par Emy-Jane Déry 7:00 AM - 5 juillet 2023
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Les poupons de 18 mois et moins sont ceux qui ont le plus de difficulté à trouver une place en garderie. Photo Pixabay

Un autre problème soulevé par les intervenants quant aux données du ministère est qu’elles ne tiennent pas compte de l’âge des enfants en attente. 

« Ce sont des calculs d’actuaires. Ils font des grosses statistiques avec de grosses formules. Comment ils arrivent à un 23 places excédentaires [en 2025], c’est difficile à voir », lance d’emblée le directeur général du CPE Sous le bon toit de Sept-Îles, Jean-Philippe Morin. 

Sur la liste nord-côtière de plus de 400 noms patientant sur la Place 0-5, un peu plus du quart seraient des poupons de 18 mois et moins.

Sous le bon toit a redonné au gouvernement les 79 places subventionnées qu’il espérait ouvrir cet automne. Impossible pour le CPE d’opérer une nouvelle installation, faute de main-d’œuvre.

« On ne répond pas nécessairement au besoin réel », soulève M. Morin. 

Pour donner une idée, sur 79 nouvelles places à Sept-Îles, on aurait pu offrir seulement 5 à 10 places poupons.

« Dans Sept-Rivières, ce qu’on voit auprès des parents qui sont pratiquement rendus à déposer des CV d’enfants dans des services de garde, ce sont des besoins pour des poupons », affirme-t-il. « Ce sont des parents, souvent des mamans, qui après leur congé de maternité ne peuvent pas retourner travailler, car elles n’ont pas de place en service de garde pour leur enfant. »

Le ratio pour les 18 mois et moins est de cinq enfants pour une éducatrice en installation et de deux enfants par adulte en milieu familial. 

« Ce n’est pas long qu’on épuise nos ressources », dit M. Morin. 

Crainte de fermetures 

En 2026, avec la modification de la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, tous les services de garde en milieu familial devront être rattachés à un bureau coordonnateur de CPE.

Présentement, on retrouve les deux types de milieux, soit les privés (subventionnés ou non) et les affiliés au bureau coordonnateur. 

« Ce que nous on craint, c’est que ça va faire en sorte que certains milieux vont fermer, car les responsables ne voudront pas être rattachées au bureau coordonnateur et syndiquées par le fait même. Ça va faire en sorte que peut-être qu’il y a un fossé qui va s’élargir en 2026 », prévient Jean-Philippe Morin. 

Rendre la profession sexy

Pour développer des installations, M. Morin est sans équivoque : il faudra rendre la profession d’éducatrice ou d’éducateur plus attrayante. 

« Dans le réseau de la petite enfance, tout est financé à la même hauteur partout. Que tu travailles, à Montréal, à Blanc-Sablon ou à Sept-Îles, ton salaire horaire sera le même », précise-t-il. « Alors que dans le réseau la santé, ou en éducation, en région éloignée avec toutes les disparités régionales, tu auras un 8 ou 10 % de prime d’éloignement sur ton chèque de paye. »

Sur la Côte-Nord, ça fait une dizaine d’années que le Regroupement des CPE demande l’obtention de cette prime d’éloignement pour les travailleurs et travailleuses de la petite enfance. 

« Ça fait en sorte que les besoins des maternelles 4 ans, des éducatrices spécialisées, des aides-enseignantes… sont comblés beaucoup par notre main-d’œuvre à nous, qui se dit : je vais aller dans le réseau de l’éducation, je vais être payé 8 % de plus », rapporte M. Morin. 

Le recrutement demeure donc très difficile pour assurer le bon fonctionnement des installations des CPE de la région. L’été, plusieurs flirt avec

de potentiels bris de service et jonglent avec les horaires pour permettre des vacances descentes à leurs employés. Le développement de nouvelles places rendrait la situation déjà fragile encore plus précaire.  

Solution court terme 

« C’est la garde en milieu familial. Quelqu’un de bien crinquée peut déposer son projet et dans un mois, le service de garde va être ouvert », assure Jean-Philippe Morin. 

Parce que même si la question de la main-d’œuvre se réglait demain matin, les centaines de famille ne disparaîtraient pas de la liste d’attente. Il faut plusieurs années pour finaliser un projet. 

Seulement dans Sept-Rivières, il y a plus de 200 enfants en attente d’une place. Cette année, dans les deux installations du CPE Sous le bon toit, une cinquantaine de places se sont libérées. Des enfants ont commencé l’école, ou ont déménagé. Là-dessus, seulement 17 places ont été accordées à des enfants qui n’avaient pas de frère ou de sœur déjà au CPE (la fratrie a une priorité). Et sur ces 17 « nouveaux » enfants, aucun n’était un poupon. 

« Ça fait quatre ans que je suis revenu dans le réseau et ça [des places accordées à des poupons hors fratrie], je n’en ai pas vu encore. » 

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