Du phoque au menu? Pas au goût de tous

Par Émélie Bernier 11:25 AM - 14 novembre 2023 Initiative de journalisme local
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Un phoque du Groenland sur la glace dans le secteur de Port-Cartier. Photo Jacques Gélineau

Lancé il y a quelques semaines, le documentaire Du Phoque au menu du réalisateur Guillaume Lévesque promeut le retour d’une pêche commerciale au phoque en donnant la parole à des partisans de celle-ci : chefs, pêcheurs et promoteurs. Des voix divergentes s’élèvent pourtant.

” Pour moi, ce film est un outil de propagande qui a en toile de fond un organisme, Les Produits du phoque canadien (ndlr : Canadian Seal Products). Ça fait longtemps que Romy Vaugeois, qui intervient dans le documentaire, travaille à l’exportation du phoque en Chine, en Corée… On assiste à une tentative de remettre sur les rails un massacre animal pour des intérêts pécuniaires “, lance l’écologiste Jacques Gélineau, sans mâcher ses mots.

La prédation des phoques sur les stocks de poisson n’est peut-être pas le fléau appréhendé. ” Ce n’est pas d’hier qu’on remet en question la prédation du phoque sur la morue. Le taux de mortalité de la morue est le même qu’il y a 10 ans. L’augmentation du phoque fait en sorte qu’ils ne peuvent pas relier l’un à l’autre. On manque de données pour statuer sur la cause réelle de cette diminution “, argue M. Gélineau, déboulonnant un des arguments-phares des partisans du retour d’une chasse commerciale importante. 

” Si ça se trouve, les phoques sont plutôt des alliés! On pense, par exemple, qu’ils peuvent avoir un impact positif sur les stocks de crevettes parce qu’ils s’alimentent de sébaste. ” La biomasse du sébaste, un important prédateur du petit crustacé, atteint 2 millions de tonnes dans le Golfe, du jamais vu. Les phoques sont également friands des bars rayés, qui seraient en partie responsables de la baisse des stocks de capelan. 

Des phoques gris. Photo courtoisie Jacques Gélineau.

Le professeur émérite affilié au ministère des Pêches et Océans, Mike Hammill, est spécialiste des phoques. S’il n’a pas visionné le documentaire Du phoque au menu, il estime qu’une chasse au phoque ” rationnelle ” ne mettrait pas en péril les colonies de l’est du Canada, tant des phoques gris que du Groenland. ” Cette chasse a toujours existé. Durant une période, les chasseurs ne prenaient que la peau et laissaient les carcasses sur la glace. On y voyait du gaspillage, mais ce n’était pas gaspillé. Ce qui restait sur la glace nourrissait les oiseaux, les homards, les crabes, et les pêches étaient bonnes “, relate M. Hammill. 

Aujourd’hui, le marché de la viande semble vouloir se développer, mais on est loin du steak de loup-marin aux lèvres! ” Ça pourrait être intéressant économiquement pour les pêcheurs, car la pêche au phoque se fait tôt, avant les autres pêches, mais il faut développer le marché et les infrastructures. ” Et s’assurer que les cheptels n’en pâtissent pas.

” On commence à voir que le système environnemental a changé. C’est moins bon pour le phoque, il y a moins de capelan, moins de glaces… Les phoques du Groenland mettent bas sur la banquise. Il faut en tenir compte”, indique M. Hammill. 

Un rapport de recherche incluant une évaluation plus récente des populations est attendu en 2024. Ces évaluations ont lieu aux cinq ans environ.

” La première étape est d’attendre les résultats de ces inventaires-là. C’est normal qu’on voie plus de phoques sur les côtes, il n’y a plus de glace! “, estime Jacques Gélineau. Ce dernier martèle que le principe de précaution dans le dossier de la chasse au phoque est d’autant plus de mise que les changements climatiques ont d’importants impacts sur les écosystèmes où ils évoluent. 

Le documentaire Du phoque au menu peut être visionné gratuitement sur Tou.tv.

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