Elle décède avant d’avoir obtenu gain de cause

Par Shirley Kennedy 11 octobre 2016
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Martial et Sébastien Poitras ont vu Mme Allicie dépérir au cours des 14 dernières années. Réaliste et désabusé, Martial Poitras appréhendait le décès de celle-ci avant que les démarches de Mme Brochu ne portent fruits. Il avait raison. Après 14 années de résilience, Lise Allicie est décédée des suites de sa maladie le 30 septembre à l’âge de 64 ans. Quant à Monsieur Poitras, il y a presque laissé sa santé, lui qui a été opéré à cœur ouvert il y a quelques mois.

Martial et Sébastien Poitras ont vu Mme Allicie dépérir au cours des 14 dernières années. Réaliste et désabusé, Martial Poitras appréhendait le décès de celle-ci avant que les démarches de Mme Brochu ne portent fruits. Il avait raison. Après 14 années de résilience, Lise Allicie est décédée des suites de sa maladie le 30 septembre à l’âge de 64 ans. Quant à Monsieur Poitras, il y a presque laissé sa santé, lui qui a été opéré à cœur ouvert il y a quelques mois.

Forestville – Après avoir parcouru 1 329 kilomètres par semaine pendant quatorze ans afin de recevoir ses traitements d’hémodialyse au centre hospitalier de Chicoutimi, Lise Allicie a rendu les armes le 30 septembre dernier à l’âge de 64 ans. Il y a deux ans, la directrice du Centre d’action bénévole Le Nordest de Forestville, Hélène Brochu, a fait sien le combat de madame Allicie afin que cette dernière puisse recevoir les soins nécessaires au CISSS de Baie-Comeau. À la demande de l’époux de Lise Allicie, Martial Poitras, Hélène Brochu monte aux barricades et dénonce avec virulence l’inefficacité du système de santé et l’absence de volonté des hauts fonctionnaires du système.

Lise Allicie a été bénéficiaire du Centre d’action bénévole Le Nordest pendant une dizaine d’années, lorsqu’après quatre ans, son époux a commencé à s’essouffler en raison des allers-retours incessants nécessaires pour recevoir les traitements d’hémodialyse au centre de santé de Chicoutimi. « Elle utilisait le service de transport accompagnement médical qui consistait au transport et l’accompagnement à raison de trois fois par semaine », précise Mme Brochu. Chaque voyage est d’une durée de 7 à 8 heures aller-retour selon la saison, sans compter la durée du traitement qui est d’environ 4 heures. À ce rythme et très malade, Lise Allicie voit son état se détériorer à vue d’œil et elle n’a plus aucune qualité de vie.

Première démarche

En 2009, le fils de Lise Allicie et Martial Poitras, Sébastien, dépose une plainte auprès de la Commissaire aux plaintes et à la qualité des services de l’Agence de la santé et des services sociaux de la Côte-Nord, Micheline Fournier. Il informe Mme Fournier de l’état d’épuisement et de découragement dans lequel se trouve sa mère à ce moment, alors qu’elle est hospitalisée à l’unité des soins psychiatriques à Chicoutimi.

Dans sa réponse, Micheline Fournier informe Sébastien Poitras que le ministre de l’époque, Yves Bolduc, a annoncé que deux centres satellites d’hémodialyse seraient instaurés à Sept-Îles et Baie-Comeau. Elle affirme dans sa lettre du 16 décembre 2009, que le budget pour le centre satellite de Sept-Îles a été annoncé mais celui de Baie-Comeau n’a pas été confirmé. Elle précise cependant, que « Bien que le budget ne soit pas encore alloué pour Baie-Comeau, les responsables ont effectué certaines démarches pour l’achat d’équipement et l’établissement de liens avec l’équipe de néphrologie de l’Hôtel-Dieu de Québec est complété. Toutefois, aucune date d’implantation n’a pu être confirmée ». Elle conclut qu’étant donné que l’implantation des deux unités satellites est bien enclenchée et que l’Agence suit de façon rigoureuse l’implantation de ces unités, « il n’y a pas lieu d’émettre des recommandations à l’Agence ». Elle invite M. Poitras à présenter sa plainte en deuxième instance auprès du Protecteur du citoyen s’il est en désaccord avec ce constat.

Le 27 avril 2010, l’attaché politique du ministre Bolduc assure la famille par correspondance que la demande sera acheminée à l’Agence de santé et des services sociaux de la Côte-Nord afin d’y assurer un suivi. Un suivi qui n’a jamais eu lieu selon l’époux de madame Allicie, Martial Poitras.

Deuxième tentative

Le 22 septembre 2015, Hélène Brochu relance les démarches à la demande de Mme Allicie qui scelle ce transfert de pouvoir par une procuration écrite. Dans une missive datée du 22 septembre 2015 et adressée à Marc Fortin, pdg du CISSS Côte-Nord, Mme Brochu relate la détérioration de l’état de santé de Mme Allicie et l’épuisement de son époux. « Monsieur Poitras est conscient que l’Émergent lui rembourse la totalité des dépenses ( 1 500 $ par semaine), mais cette compensation ne guérit pas sa conjointe et ne réduit pas toutes les circonstances aggravantes qu’elle vit », écrit Hélène Brochu qui exige un suivi tel qu’il a été suggéré par la Commissaire aux plaintes 5 ans plus tôt.

Un mois plus tard, par l’entreprise de Manon Bourgeois, commissaire aux plaintes et à la qualité des services, le pdg du CISSS Côte-Nord, Marc Fortin, informe Hélène Brochu que le projet d’implantation d’un centre satellite à l’hôpital Le Royer n’a pas vu le jour en raison du fait que le financement nécessaire n’a pas été octroyé par le ministère. Mme Bourgeois informe la directrice du Centre d’action bénévole qu’un comité-aviseur mandaté par le ministère de la Santé et des Services sociaux planche depuis plusieurs mois sur le dossier et devrait déposer des orientations ministérielles sous peu, « ce qui permettra par la suite à l’établissement de revoir l’organisation régionale en santé rénale en fonction de ces orientations ».

Protecteur du citoyen

Au fil des années, la santé de Mme Allicie continue de décliner et à partir de l’automne 2015, elle doit effectuer ses déplacements jusqu’à Chicoutimi connectée à des bonbonnes d’oxygène. Le 11 novembre 2015, Hélène Brochu dépose une plainte au Protecteur du citoyen à la Direction des enquêtes et interventions en Santé et services sociaux.

« Pendant ce temps, M. Poitras continue d’interpeller le Centre de santé pour savoir où en est le dossier pour le service d’hémodialyse, affirme Hélène Brochu. La réponse est toujours la même : ça prend 4 patients pour ouvrir un centre. Pourtant, selon nos recherches, lorsque les gens reçoivent le diagnostic et qu’ils se font dire que le service d’hémodialyse de Sept-Îles est complet, ils déménagent. Cette situation est tout à fait déplorable. Les gens doivent quitter leur maison, leurs enfants et leur vie pour recevoir le service ».

Déterminée plus que jamais, Hélène Brochu effectue des démarches pour identifier des patients traités en hémodialyse afin d’atteindre le chiffre magique de 4. Au cours de ses recherches, une source sûre du CHUQ de Québec, lui confirme qu’un client de Forestville suit des traitements d’hémodialyse à l’Hôtel-Dieu de Québec sans compter la clientèle autochtone de Pessamit. Source d’informations inestimable, l’informateur confirme à Mme Brochu que 92 personnes insuffisantes rénales de la Côte-Nord sont suivies par l’Hôtel-Dieu de Québec, ce qui est énorme si l’on compare aux régions de la Gaspésie-les îles (30) ou le Bas-Saint-Laurent (17).

Les conclusions du Protecteur du citoyen parviennent à Mme Allicie en mars 2016. Il s’étonne du fait qu’un centre satellite ait vu le jour à Sept-Îles pour un seul patient alors qu’à Baie-Comeau le projet n’est toujours pas en marche. Aujourd’hui, ce sont en moyenne 15 personnes qui reçoivent des traitements à Sept-Îles. « J’estime que ceci est inéquitable pour les usagers habitant l’ouest de la région et contribue à créer des disparités intrarégionales », affirme le Protecteur du citoyen.

Un vaste territoire qui défie les comparaisons

Dans la majorité des cas, les critères utilisés par le ministère de la Santé et des services sociaux apparaissent justifiés aux yeux du Protecteur du citoyen. « Mais appliqués strictement (les critères), c’est ignorer un aspect important du défi qui se pose au CISSS Côte-Nord : un vaste territoire. Un défi que les autres régions n’ont pas à relever », mentionne-t-il.

En comparaison, le territoire de la Gaspésie est de 30 341 km2, alors qu’il est de 236 699 km2 pour la Côte-Nord. « Ce qui constitue une particularité régionale non négligeable à laquelle le ministère devrait accorder une attention particulière ».

Finalement, le Protecteur du citoyen soulève que les orientations ministérielles recommandent que les services d’hémodialyse hospitalière devraient être accessibles en moins de 3 heures aller-retour dans des conditions optimales. « Force est de constater que c’est loin d’être votre situation », dit-il.

Plus déterminée que jamais à obtenir gain de cause en la mémoire de Lise Allicie et des autres patients dans la même situation, Hélène Brochu a obtenu l’aide du député de René-Lévesque, Martin Ouellet, qui l’a assurée de son entière collaboration dans la poursuite de ses démarches et l’atteinte de ses objectifs. Elle invite toutes les personnes qui se sentent concernées par cette situation, à la contacter afin d’étayer et documenter le dossier.

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