L’histoire, un éternel recommencement?
Les Escoumins – L’historienne en moi a sursauté à la lecture des textes de Charlotte Paquet. Cent ans, ou presque, après la disparition du célèbre (et regretté) Charles Arnaud, nous avons un missionnaire Oblat sur la Côte-Nord? Certaines paroisses de la Côte-Nord sont donc redevenues des missions comme au temps de la colonisation?
Avant même la colonisation, au temps des Postes du roi, les missionnaires Jésuites parcouraient nos contrées, notre histoire aura particulièrement retenu le nom des deux derniers, Claude-Godefroy Coquart (1746 à 1765) et Jean-Baptiste de La Brosse (1766 à 1782). À la marche, en canot, à l’année longue, au péril de leur vie, de postes en postes, où les blancs avaient des droits de traites de fourrures (Tadoussac, Chicoutimi, Les Îlets-Jérémie, Manicouagan, Sept-Îles et même au-delà). Les missionnaires n’avaient de cesse d’évangéliser les Amérindiens, but ultime de leur quête. Ils parcouraient d’incroyables distances, leur autel sur le dos, afin de porter les sacrements et colliger le tout dans les registres qu’ils transportaient avec eux.
Avec le décès du dernier Jésuite, le Père de Labrosse, ce sont les prêtres séculiers qui prendront la relève de manière épisodique. La Haute-Côte-Nord, toujours dépendante de l’archevêché de Québec, ne recevra la visite d’un prêtre qu’en période estivale. Le premier, aux temps des postes de traite, sera Jean-Joseph Roy, pendant plus d’une dizaine d’années. Plusieurs autres suivront, dont Robitaille, Le Courtois, Bourget, Maguire, Primeau. En provenance de Québec, Charlevoix et même de la Rive-Sud, ils desservaient les Premières Nations et les quelques Blancs présents sur le territoire.
Avec la fin du monopole des fourrures, en 1842, notre territoire et celui du Saguenay, s’ouvraient sur la colonisation. En attendant l’érection des paroisses, ce sont les Oblats de Marie Immaculée, venus d’Europe, qui prendront la relève. Sur notre territoire, deux noms resteront dans les mémoires : Charles Arnaud et Louis-François Babel. Ce sont eux qui verront à construire et rénover la plupart des chapelles, dont celles de Portneuf et Betsiamites. Un premier curé, Jean-Lazare Marceau, est nommé aux Escoumins en 1846 mais il ne demeurera en poste que trois ans, la cure revient à nouveau aux Oblats pendant plus de douze ans. Le territoire à couvrir est immense, les Blancs de plus en plus nombreux, L’abbé Roger Boily arrive enfin à la rescousse pour reprendre la cure des Escoumins en 1862 et un curé résident, Bernier, est nommé à Tadoussac l’automne suivant. Les missionnaires Oblats peuvent respirer un peu et poursuivre leur apostolat auprès des autochtones en s’installant à Betsiamites, sans oublier de desservir la population blanche jusqu’à Portneuf. À l’été 1870, un autre curé apparaît à St-Paul de Mille-Vaches, Pierre Boily, frère de Roger, il desservira tous les hameaux jusqu’à Sault-au-Cochon (Forestville) pendant que les curés de Tadoussac et Les Escoumins se partagent le secteur Ouest du territoire et que les Oblats poursuivent leur mission à l’autre extrémité.
Tranquillement, nous verrons les églises s’ériger et apparaître un prêtre dans chaque paroisse. L’abbé Dubé arrivera à Sacré-Cœur en 1887, Les Bergeronnes accueillera Arthur Guay en 1889. Ce n’est qu’en 1905 que Portneuf aura droit à l’abbé Arthur Verrault, qui repartira rapidement suite à l’incendie de l’église le 1er janvier 1910. Les petits hameaux des Îslets-Jérémie et des alentours seront longtemps desservis par les Eudistes de Betsiamites. Suite à la crise de 1929, les cantons Laval et Latour se peuplent. Le curé Bouchard de Portneuf (depuis 1925) portera la Bonne Nouvelle au canton Laval, les Eudistes s’occuperont du canton Latour jusqu’à l’arrivée des curés Gallant (Colombier) en 1938 et Sirois (Forestville) sept ans plus tard. Même Sault-au-Mouton aura son curé résident, l’abbé Victor Giroux, pendant 33 ans (1950-1983). Pendant que l’église St-Marc demeurera, pour les Eudistes de Forestville, une desserte.
Dans une perspective historique
Si la révolution tranquille n’avait pas réussi à vider totalement nos lieux de culte, le vieillissement et l’exode de la population font en sorte que les fidèles ne sont plus présents. Même au niveau religieux, on ne peut ignorer le concept de l’offre et la demande. Tranquillement, les curés qui disparaissent ne seront pas remplacés. Le seul et unique curé de Sault-au-Mouton, l’abbé Victor Giroux, laisse sa paroisse en 1983, ce sont les prêtres de St-Paul, la paroisse voisine, qui assureront une présence. En l’espace d’une décennie, le mouvement se généralise, nos paroisses se verront priver de leurs pasteurs et pourvues d’un « curé de secteur ». Celui des Escoumins desservira bientôt Tadoussac, Sacré-Cœur, Les Bergeronnes et Longue-Rive. Celui de Forestville tous les villages du secteur Est. Comme au temps des missionnaires, nos curés s’essoufflent à porter les sacrements d’une église à l’autre. Les vocations se font rares, les prêtres vieillissent, au point où se sont des pasteurs venus d’ailleurs qui desservent nos paroisses.
Dans une perspective historique, ce tableau laisse perplexe. Alors que les Oblats du 18e siècle se promenaient en canot vers des hameaux qui se peuplaient; aujourd’hui, les curés « missionnaires » volent en avion afin de desservir des paroisses qui se dépeuplent. Karl Marx a écrit « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre », mais n’oublions pas que l’histoire est aussi, paraît-il, un éternel recommencement…
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