Deux vies sauvées grâce aux travailleuses de rue
Les travailleuses de rue Mireille Boivin et Julie Arsenault entourent la directrice du Centre de dépannage des Nord-Côtiers, Nathalie Beaudoin.
Véritable filet de sécurité pour les communautés vulnérables comme celles de la Haute-Côte-Nord, les travailleuses de rue embauchées par le Centre de dépannage des Nord-Côtiers ont permis de sauver deux vies en 2021-2022.
On pourrait penser que ce type de travailleur de proximité n’est nécessaire que dans les grands centres urbains comme Montréal, mais les besoins sont réels pour la population haute-nordcôtière.
« Nous avons embauché une première travailleuse de rue il y a trois ans et elle ne chôme pas. La demande est grande et nous souhaitons y répondre », affirme la directrice du Centre de dépannage, Nathalie Beaudoin.
Les travailleurs de rue peuvent offrir différents services à tous les types de clientèle, notamment pour briser l’isolement et favoriser la réintégration dans la société.
« Les personnes que nous aidons sont souvent isolées, laissées à elles-mêmes dans des milieux pas toujours sains », ajoute la travailleuse de rue depuis trois ans, Julie Arsenault.
C’est d’ailleurs celle-ci qui a évité la mort de deux bénéficiaires lors de la dernière année.
« Mon client avec qui j’avais des suivis récurrents m’a appelé en pleine nuit. Il était en surdose de fentanyl et avait peur de mourir. Je me suis immédiatement rendue chez lui pour lui administrer du Naloxone et j’ai réussi à le sauver », témoigne Mme Arsenault, qui n’oubliera jamais ce moment.
Dans l’autre cas, la Forestvilloise d’origine a aidé une femme victime de violence conjugale. Après une forte dispute, la dame était en crise de panique.
« Elle a perdu connaissance et j’ai dû lui faire les manœuvres de réanimation cardiorespiratoire (RCR) », affirme Mme Arsenault, qui se désole toutefois des bénéficiaires qu’elle n’a pas réussi à sauver.
En septembre, l’équipe du Centre de dépannage des Nord-Côtiers s’est adjoint d’une nouvelle ressource en travail de rue, soit Mireille Boivin.
Détentrice d’un baccalauréat en travail social, cette dernière a aussi œuvré auprès de la clientèle suicidaire.
« Comme je suis en provenance de Montréal, je ne connaissais pas du tout le milieu, je n’étais même jamais venue sur la Côte-Nord. J’ai fait mes marques tranquillement en allant directement sur le terrain rencontrer les jeunes dans les polyvalentes ou à d’autres endroits précis », dévoile la nouvelle venue qui accompagne davantage les adolescents et les personnes âgées isolées.
Mme Boivin peut agir en termes de prévention sexuelle (contraception, infection transmissible sexuellement), dépendance, crise suicidaire, questionnement sur l’identité ou le genre, pour ce qui est des ados. Chez les aînés, elle voit beaucoup d’isolement, et plus encore chez les hommes.
Dans un avenir très rapproché, Philippe Vaugeois joindra l’équipe féminine en tant que coordonnateur clinique. Il jouera donc un rôle de conseiller auprès des deux intervenantes en plus d’aller lui aussi sillonner les besoins dans la rue.
« Il nous permet de clarifier les zones grises et de nous épauler dans nos interventions », soulignent Julie Arsenault et Mireille Boivin.
Plus concrètement, les travailleurs de rue, qui parcourent tout le territoire de la Haute-Côte-Nord, peuvent remettre du matériel pour les personnes itinérantes (tente, sac de couchage, matelas de sol, nourriture, trousse de premiers soins, lampe de poche, etc.) ainsi que des trousses de Naloxone et des bandelettes de détection du fentanyl pour les bénéficiaires aux prises avec des problèmes de drogue.
En 2021-2022, le service de travail de rue de l’organisme communautaire a permis d’aider 613 personnes et de poser 1 312 actions.
Les problématiques les plus observées sont la maladie physique et mentale, l’isolement, la consommation de drogue et d’alcool et tout ce qui entoure la famille (divorce, chicane).
Les rencontres ont eu lieu principalement par téléphone et en personne, mais les réseaux sociaux ont aussi été populaires.
Le service de travail de rue en Haute-Côte-Nord est assuré jusqu’en mars 2023. Le Centre de dépannage est en attente de confirmation de subventions pour certifier la continuation des interventions.
Un parcours inspirant
Si on reculait d’une décennie, Julie Arsenault ne croirait pas pouvoir aider sa communauté comme elle le fait aujourd’hui par son travail. Toxicomane depuis son adolescence, la jeune mère de quatre enfants a touché le fond avant de s’en sortir.
Originaire de Forestville, Julie Arsenault a commencé à consommer à l’âge de 13 ans. « Ç’a continué pendant 21 ans jusqu’à ce que je me prenne en main. J’ai suivi une thérapie de deux ans avec Portage, un programme de réadaptation en toxicomanie pour adultes », raconte-t-elle.
Après sa sortie de prison, Mme Arsenault devait exécuter des travaux compensatoires dans sa communauté. C’est dans ce cadre qu’elle a été dirigée vers le Centre de dépannage des Nord-Côtiers.
« On m’a finalement proposé le poste de travailleuse de rue et ça m’a vraiment collé à la peau, divulgue celle qui a combattu sa dépendance. Je connaissais déjà le milieu auquel je devais apporter du soutien. »
La jeune femme s’est impliquée entièrement dans son nouvel emploi et a suivi les deux formations de travailleur de rue pour lui permettre de connaître les méthodes d’intervention. Elle conserve toutefois sa petite voix intérieure qui la guide quotidiennement.
« J’agis souvent par feeling. Quand j’entre dans un endroit, je sais à première vue qu’il faut prendre action rapidement », précise-t-elle.
Aujourd’hui, elle ne renie pas son passé, mais elle s’en sert plutôt pour bien accomplir sa vocation. « Je connais par quoi elles passent les personnes dépendantes. Je peux les conseiller et surtout, je suis capable de ne pas les juger. Si elles ne sont pas prêtes à aller de l’avant, je respecte leur choix avant tout. »
Son expérience de la toxicomanie devient également un modèle inspirant pour sa clientèle. Transparente, elle raconte son histoire dans le but de faire prendre conscience aux personnes qui croisent son chemin qu’elles peuvent réussir à remonter la pente et à réintégrer la société. « J’en suis la preuve vivante », conclut Julie Arsenault.
L’itinérance cachée
En Haute-Côte-Nord, les itinérants sont plus nombreux qu’on pourrait le croire. Ils ne dorment pas sur les bancs de parc, ils ne quêtent pas devant les magasins, on ne les voit tout simplement pas. « C’est de l’itinérance cachée », commentent Nathalie Beaudoin et Marie-Eve Boivin, directrices du Centre de dépannage des Nord-Côtiers et du Centre d’action bénévole Le Nordest.
Dans le secteur est du territoire, Mme Boivin le voit en raison des dépannages alimentaires que son organisme réalise. « Les gens ne peuvent pas me donner d’adresse. Ils passent d’une chambre à une autre, mais n’ont pas de domicile fixe », déclare-t-elle. Quant à Mme Beaudoin, elle a observé le même phénomène.
« Souvent, les personnes demeurent chez des amis. Ils n’ont pas d’adresse à elles », confirme-t-elle.
Les deux femmes déplorent le manque de logements sociaux sur le territoire. À certains endroits, certains blocs appartements pour les personnes à revenus modiques sont destinés à des clientèles spécifiques comme les aînés autonomes ou les familles.
« Pour les personnes seules, il y en a seulement à Sacré-Cœur. Pourtant, ce sont une grande partie de notre clientèle et elles ont besoin d’endroit où vivre qui ne soit pas dans un piteux état », souligne la travailleuse de rue, Mireille Bovin.
Marie-Eve Boivin se désole également de l’absence de lit d’urgence pour les itinérants qui doivent passer une nuit dans la rue. « Présentement, on ne répond pas à la demande », laisse-t-elle tomber.
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