Les travaux sylvicoles en décroissance 

Par Johannie Gaudreault 12:00 PM - 29 mai 2023
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Les travaux sylvicoles sont en décroissance partout au Québec et la Côte-Nord ne fait pas exception. Photo : La Nord-Côtière

D’une importance capitale pour assurer la productivité et le rendement des forêts, les travaux sylvicoles réalisés sur le terrain ne sont pas valorisés à leur juste valeur, selon l’Association des entrepreneurs en travaux sylvicoles du Québec (AETSQ) et la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF). 

C’est ce que constate également la Nord-Côtière, coopérative forestière située aux Bergeronnes, qui effectue des travaux sylvicoles en forêt publique depuis de nombreuses années. 

Depuis 2014, soit depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime forestier, une constante décroissance de la quantité de travaux sylvicoles réalisée pour maintenir le rendement des forêts est observée. 

Selon les données de Rexforêt, les travaux de préparation de terrain et de reboisement ont ainsi diminué, respectivement, de 16,4 % et de 7,6 % entre 2014 et 2021. En matière d’éducation de peuplement, une étape essentielle en vue de s’assurer de la bonne croissance des plants, la baisse se chiffre à 31 %. 

« Les investissements gouvernementaux ont augmenté depuis 2014, mais pas à la vitesse de l’inflation. Les travaux ont diminué parce que les coûts ont explosé », exprime Dany Rousseau, directeur des communications à la Fédération québécoise des coopératives forestières. 

De son côté, le directeur général de la Nord-Côtière, William Lebel, confirme que l’enveloppe attribuée aux travaux sylvicoles est demeurée stable, mais que la valeur des travaux a quant à elle été revue à la hausse. 

Selon le portrait statistique, de l’industrie forestière produit par le ministère des Forêts, on y voit clairement que les travaux sylvicoles non commerciaux (débroussaillage, entretien des plantations, travaux de nettoiement) sur la Côte-Nord ont diminué. 

« En 2018, on était à 2 100 hectares. L’année d’ensuite, on est tombé à 2 000 hectares et en 2020, on était à 1 600 hectares », dévoile William Lebel. 

D’autre part, les données de Rexforêt démontrent que depuis 2014, il n’y a pas nécessairement eu de baisse en termes de reboisement.

« Mais, au niveau de la préparation de terrains, on observe une diminution. Quant aux travaux de débroussaillage ou d’éducation de peuplements, la baisse est encore plus significative. On passe de 55 000 hectares à 40 000 hectares. C’est majeur », commente M. Lebel. 

L’éducation de peuplements regroupe plusieurs types de travaux sylvicoles. Sur la Côte-Nord, il s’agit de dégagement de plantation et de nettoiement (à un stade un peu plus vieux des arbres).

Celui qui a été président de la FQCF en 2021-2022 soutient que maintenir le reboisement sans l’entretenir de façon optimale a un impact sur la productivité et la possibilité forestière. « Ce sont des investissements de fonds publics. Si on ne prend pas soin de ces investissements-là, il peut y avoir des conséquences », poursuit-il. 

William Lebel ne peut pas s’empêcher de faire un lien avec la Stratégie de protection du caribou qui est dans les plans gouvernementaux à court terme. 

« Le reboisement a un peu diminué, la préparation de terrains a diminué, le débroussaillage, l’entretien des plantations et l’éducation des peuplements ont diminué dans un contexte où on va avoir la Stratégie de protection du caribou qui va être déposée bientôt. On n’a pas fait de l’intensification de la sylviculture pour permettre de régénérer plus de volume sur de petites surfaces et la Stratégie de protection du caribou va venir impacter », explique-t-il. 

Inflation

Si l’enveloppe budgétaire accordée aux travaux sylvicoles s’est maintenue, le coût lui a suivi la courbe croissante de l’inflation. Le recrutement de la main-d’œuvre fait partie des causes tout comme la hausse du prix de l’essence. 

« La pression de la main-d’œuvre y est pour quelque chose. Il faut tenter de suivre. C’est difficile de recruter puisque ce ne sont pas des métiers faciles à la base. La hausse des salaires a eu un impact, l’augmentation du coût du carburant a eu des incidences sur le coût des différents éléments », fait savoir M. Lebel. 

L’hébergement demande aussi plus d’investissements de la part des employeurs. À la Nord-Côtière, 100 % travaux réalisés nécessitent 100 % des travailleurs à héberger. La coopérative embauche une soixantaine d’employés. 

« Il y a un coût d’hébergement qu’on doit toujours assumer. L’évolution aussi au niveau des attentes des travailleurs face à leurs conditions de travail. Avant la COVID, ça arrivait qu’on logeât deux travailleurs dans une même chambre. Ça devient difficile de revenir à deux personnes par chambre. On augmente considérablement notre coût d’hébergement. »

Demandes

Les deux associations qui dénoncent la diminution des travaux sylvicoles au Québec joignent leurs voix pour inviter la ministre des Ressources naturelles et des Forêts, Maïté Blanchette-Vézina, à effectuer immédiatement un rattrapage afin de redresser la situation et assurer l’avenir des forêts québécoises.

« Si la situation perdure, la conséquence sera de réduire la productivité des forêts en qualité et en quantité de fibre et à terme, c’est la pérennité des approvisionnements des usines de transformation qui risque d’être compromise », déclare le président de la FQCF, Stéphane Gagnon.

Pour redresser la situation et éviter d’éventuelles baisses de possibilité forestière, l’AETSQ et la FQCF jugent essentiel d’entreprendre quatre actions prioritaires.

1. Injecter un minimum de 20 M$ supplémentaires en éducation de peuplement dès la saison 2023, ce qui permettra de commencer à rattraper le retard accumulé, notamment en dégagement de plantation.

2. Réaliser une analyse d’écart afin de bien mesurer la quantité de travaux non réalisés faute de budget.

3. À partir des résultats de l’analyse d’écart, élaborer un plan de redressement sur trois ans qui sera mis en œuvre dès le 1er avril 2024 et en assurer le financement.

4. Dès le 1er avril 2024, réaliser la même quantité de travaux sylvicoles non commerciaux (préparation de terrain, reboisement et éducation de peuplement) qu’en 2014, et ce, en plus des travaux nécessaires précisés dans le plan de redressement.

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