UPAC: fini les grands stratagèmes, mais «il y a encore des enveloppes»

Par Pierre Pierre Saint-Arnaud 3:45 PM - 24 octobre 2023 La Presse Canadienne
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Le commissaire à la lutte contre la corruption du Québec, Frédéric Gaudreau, dévoile son rapport annuel en conférence de presse, le mardi 24 octobre à Québec. Photo La Presse Canadienne/Karolie Boucher

Les grands stratagèmes de corruption et de collusion dans l’industrie de la construction mis au jour par la Commission Charbonneau semblent bien avoir été jugulés, mais ils se sont multipliés à petite échelle dans plusieurs autres secteurs. 

«Maintenant c’est plus subtil, les gens camouflent davantage leurs actions. (…) Mais on voit aussi que les crimes de corruption sont étendus également aux autres milieux, comme par exemple, l’informatique, la santé, les centres de services scolaires, plusieurs environnements dans lesquels on retrouve des stratagèmes à plus petite échelle», a expliqué le commissaire à la lutte contre la corruption, Frédérick Gaudreau.

Le grand patron de l’Unité permanente anti-corruption (UPAC) présentait, mardi à Québec, le bilan de l’organisation pour l’année 2022-2023, mais aussi pour les cinq dernières années, soit depuis que l’UPAC est devenue en 2018 un corps policier à part entière.

«Il y a encore des enveloppes»

Dans le domaine de la construction, le commissaire Gaudreau s’est félicité du fait que les grands systèmes élaborés impliquant des firmes de construction et d’ingénierie ainsi que des fonctionnaires et élus municipaux, comme celui de Laval à l’époque de l’administration du maire déchu et condamné Gilles Vaillancourt, «sont des stratagèmes qu’on ne revoit plus». 

Cependant, poursuit-il, «il y a des contrats qui sont octroyés dans certaines municipalités ou dans certains centres de services scolaires ou dans le milieu de la santé. Il y a des cas encore aujourd’hui où des gens se transfèrent des enveloppes pour éventuellement avoir un contrat, être favorisés sur un appel d’offres».

Le bilan présenté par Frédérick Gaudreau fait état, depuis cinq ans, de 259 personnes accusées à la suite d’enquêtes de l’UPAC, dont 57 ont été condamnées. Ces chiffres, qui pourraient laisser croire à un taux de réussite famélique, sont toutefois trompeurs et cachent une réalité que tous les justiciables ne connaissent que trop bien, soit la lenteur du processus judiciaire. 

Un taux de réussite de 91 %

En fait, sur les 57 prévenus condamnés, 17 avaient été accusés avant 2018. Depuis cinq ans, seulement 44 dossiers sur 259 ont traversé le processus judiciaire au complet et 40 se sont traduits par des condamnations, soit un taux de réussite de 91 %. Trois dossiers se sont conclus par un arrêt des procédures et le dernier a été réglé par des «mesures alternatives». 

Sur une base annuelle, le bilan de l’année qui s’est terminée au 31 mars 2023 est impressionnant. Ce sont, cette seule année, 231 accusations qui ont été déposées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), soit «le meilleur bilan en la matière depuis la création de l’UPAC». Quant aux 35 condamnations (qui sont comprises dans les 57 mentionnées plus haut), elles représentent une hausse de 46 % par rapport à l’ année précédente.

Mandatée depuis 2022 pour réaliser des vérifications dans les entreprises, l’UPAC a remis près de 800 rapports à l’Autorité des marchés publics en neuf mois. Son unité autonome de vérification de la Commission de construction du Québec a réclamé pour sa part plus de 32 000 heures non déclarées, pour un total de 860 000 $.

Nouvelles expertises

Frédérick Gaudreau se dit assez fier du travail de son corps policier qui démontre, selon lui, que «le commissaire et l’Unité permanente anti-corruption sont pertinents pour le Québec». Les dossiers de corruption nécessitent, selon lui, «une organisation comme la nôtre: permanente, autonome et non liée à l’urgence policière du jour».

L’UPAC a réussi, grâce à des changements législatifs apportés en 2022 qui ont élargi l’accès à la fonction d’enquêteur, à embaucher au sein de son équipe des enquêteurs ayant des formations et de l’expérience en informatique, en comptabilité, en finance et en administration, des expertises cruciales que d’autres corps policiers lui envient, affirme M. Gaudreau. 

Il dit s’attendre à ce que, dans les prochaines années, le corps policier sera «en mesure d’avoir un gain d’efficacité, justement parce qu’on a recruté des gens avec un profil différent et une vision différente». Ce sera plus que jamais nécessaire, reconnaît-il du même souffle, en raison des avancées technologiques et l’habileté des criminels à en tirer profit. «Plus ça évolue, plus on tente d’être à jour là-dedans, mais je ne ferai pas de cachette, c’est effectivement un défi en termes de connaissances, mais également en termes d’acquisition de ce matériel.»

Sur le plan administratif, enfin, l’UPAC a réussi ce que de nombreuses organisations gouvernementales peinent à réaliser, soit une réduction du délai de traitement des dossiers qui lui sont signalés, qui est passé de 62 jours il y a cinq ans, à une moyenne de neuf jours maintenant.

Pas d’excuses pour Jean Charest

Par ailleurs, le commissaire Gaudreau a rejeté sans appel la possibilité d’offrir des excuses à l’ex-premier ministre Jean Charest pour la fuite de renseignements personnels le concernant dans le cadre de l’enquête Mâchurer de l’UPAC, qui n’a finalement mené à rien, malgré huit ans d’enquête. En avril dernier, le juge Gregory Moore, de la Cour supérieure, a reproché à l’UPAC d’avoir commis une «faute lourde» et a condamné l’État à lui verser 385 000 $ en dédommagement.

Frédérick Gaudreau s’est réfugié derrière cette décision: «Je me range à la décision, donc c’est terminé là pour moi». Poussé plus loin par les journalistes, il a offert un «non» catégorique et final. 

L’UPAC avait pourtant offert en 2021 des excuses publiques en conférence de presse à l’ex-député Guy Ouellet pour son arrestation «injustifiée» survenue en 2017. Le commissaire Gaudreau a expliqué que, dans le cas de M. Ouellet, «ça fait suite à une entente et c’était le devoir que j’avais de le faire dans (ce) dossier alors que dans l’autre (celui de M. Charest), c’est un dossier qui s’est traité devant les tribunaux, donc devant un juge qui a rendu une décision. C’est différent», a-t-il avancé.

Après la décision du juge Moore, M. Charest s’est adressé aux tribunaux en mai pour réclamer un autre 717 000 $ en dommages punitifs et moraux.

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