Chronique : d’une journaliste à une psy

Par Johannie Gaudreault 3:00 PM - 10 novembre 2020
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Madame la psychologue, après un an d’attente, je peux enfin m’asseoir sur votre sofa pour extrapoler à propos de mes souffrances mentales. Par chance, j’avais presque prédit le confinement de la COVID-19 et je m’étais prise assez d’avance pour avoir un rendez-vous dans votre bureau pendant la pandémie.

Depuis le mois de mars, je ne dors plus, je ne fais qu’essayer de comprendre toutes les consignes imposées par les deux gouvernements. Vous savez, ce n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Chaque jour, une multitude d’informations défilent sur mon fil d’actualités et elles s’entremêlent, se contredisent et se dénigrent.

Ce n’est pas tout. En plus de ne pas trouver le sommeil, je suis toujours triste. Je ne peux plus voir ma famille élargie et mes amis. Terminé les brunchs en famille au restaurant le dimanche, fini les 5 à 7 avec les collègues de travail après une grosse semaine de boulot. J’adore ma bulle familiale, mais trop c’est comme pas assez.

J’ai l’impression d’être abandonnée à moi-même, madame la psy. Et, d’abandonner mes proches à eux-mêmes aussi. Ma grand-mère, elle a vécu la perte de son mari des 60 dernières années, et je devrais me contenter de prendre de ses nouvelles par téléphone?

Désolée, je ne suis pas assez forte pour ça. Vous m’en demandez trop. Je dois me libérer de ce fardeau : oui, je suis allée la visiter. Je ne l’ai pas serrée dans mes bras comme je l’aurais voulu, je ne l’ai pas embrassée, je l’ai tout juste regardée dans les yeux. Suis-je allée trop loin docteure?

Est-ce que je vis de l’anxiété, me demandez-vous? L’anxiété, qui n’en est pas victime de temps en temps? C’est le mal du siècle, après le cancer, non? Bien sûr que je suis stressée.

Ma fille ne peut pas couler du nez sinon on la renverra de l’école, je dois me rentrer dans le cerveau de ne pas oublier mon masque, alors que j’ai de la difficulté à me souvenir d’acheter du lait (vive la charge mentale), j’ai vécu deux funérailles sans pouvoir recevoir de câlins. Voulez-vous que je continue?

Pendant ce temps, le gouvernement injecte 100 millions de dollars pour la santé mentale des Québécois. Mieux que rien diront certains, pas suffisant selon d’autres.

Moi, ce qui me chicote, c’est le moment de cette annonce. Le ministre Lionel Carmant l’a déclaré deux jours APRÈS la tragédie qui s’est déroulée dans le Vieux-Québec.

Pourquoi faut-il toujours attendre le drame? Le dicton mieux vaut prévenir que guérir ne trouve pas preneur quand on parle de santé mentale. Le sujet est toujours tabou aujourd’hui, alors qu’on est dans l’ère où elle fait le plus de victimes.

Les psychologues manquent, les listes d’attente publiques s’allongent un peu plus de mois en mois, les bureaux privés ne prennent plus de nouveaux clients et ne sont pas accessibles à tous les budgets.

N’essayez pas de trouver des données fiables sur l’accès aux services en santé mentale, même la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, n’y arrive pas. Preuve que cette problématique sociétaire a été oubliée et mise de côté depuis fort longtemps, trop longtemps.

Quant aux statistiques, elles datent de 2010 et 2012, elles ont certainement évolué en 10 et 8 ans. Pas moyen de le savoir… Mais en 2010, on estimait que 800 000 Québécois avaient déjà souffert de dépression et que 49 % des gens n’avaient jamais consulté un médecin pour cette raison. Imaginez-vous en 2020.

J’ai moi-même vécu un épuisement professionnel qui a tourné en dépression il y a un an et, peine à me trouver un psychologue, mon médecin de famille s’est proposé.

Depuis quand les médecins de famille sont-ils des spécialistes de la santé mentale? J’ai même contacté des psys du Saguenay, j’étais prête à faire près de trois heures de route pour rencontrer cette perle rare. Je n’ai jamais reçu de retours d’appels.

J’ai réussi à mettre la main sur une stagiaire qui en était à la fin de ses études en psychologie. Plusieurs se seraient découragés bien avant…

Alors, docteure, quel est votre diagnostic?

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